Le Jour se lève est mon premier grand film français et quel film. Un scénario simple mais efficace imaginé par Jacques Viot et des dialogues savoureux par le très grand Jacques Prévert. La mise en scène est originale et bien pensée, elle constitue un des plus grands points forts du film, l’utilisation des flash back à cette échelle est inédite. Chaque plan est étudié par le très perfectionniste Marcel Carné qui accompagné par son talentueux chef décorateur Alexandre Trauner et son chef de la photo Curt Courant (longtemps supprimés des crédits par la censure de Vichy) nous signe un des plus grands films français, un film devenu culte, sans eux le film n’aurait sans doute pas été aussi bon, il est donc important de les mentionner.


Ce film c’est également le sommet du réalisme poétique, il en reprend tous les codes, un personnage issu de la classe populaire dans un milieu urbain. Le personnage de François est un héros maudit en effet la notion de fatalité et de destin est très présente, le récit ne laisse jamais espérer une fin heureuse, c’est ici que l’histoire peut s’apparenter à une vraie tragédie, de plus il respecte l’unité de temps de la tragédie classique et dans une certaine mesure l’unité de lieu, le héros ne bouge pas de sa chambre, il voyage à travers ses souvenirs.


Les dialogues occupent également une place très importante pour développer les différentes psychologies, c’est une notion importante du réalisme poétique qui suivant les films muets a cherché à accorder une place majeure aux répliques de ses personnages.


Le travail subtil de la lumière, comme dans les plans de rue brumeuse est un héritage du cinéma expressionniste qui précède cette époque.


La musique de Maurice Jaubert est très efficace, elle n’est jamais trop envahissante et accompagne à merveille les moments forts.


Le trio d’acteur principal est un des meilleurs que j’ai pu voir, Jean Gabin est possédé et attachant, Arletty apporte douceur et mélancolie au récit et Jules Berry est le principal antagoniste, un salaud provocateur qui nous offre les meilleures scènes du film lorsqu’il est associé à Jean Gabin. Enfin la jeune Jacqueline Laurent est sublime certes sont jeu est moins bon que le grand trio d’acteur mais son personnage est parfait, derrière son innocence se cache un caractère de garce (en témoigne le dernier cadeau qu’elle offre à François).


Le film est assez pessimiste, on est à l’aube du film noir en France, le récit montre qu’un amour heureux est impossible, ce message n’est pas forcément juste mais reflète bien les idées noires qui précèdent l’avant-guerre.


Ensuite la symbolique est très belle, le personnage de Jean Gabin représente la classe ouvrière et le personnage de Jules Berry une sorte de petite bourgeoisie. On assiste alors à un conflit des classes.


La mort de Jean Gabin est également très forte, elle symbolise la mort du front populaire, un suicide physique pour des ouvriers qui ne sont plus compris socialement par le monde. On assiste alors à la chute des mouvements populaires avec un peuple incompris tout le long du film qui fait tristement écho aux évènements réels.


En restant toujours dans la symbolique, on peut remarquer le paquet de cigarettes dans la chambre de Jean Gabin, ce paquet de cigarettes c’est la vie de François qui se consume, au début il est plein et son suicide arrive lorsque le paquet est vide. Le dernier souffle de vie de François s’est calciné.


Ce film pose de nombreuses questions, on peut facilement s’interroger sur le caractère coupable de François après tout son acte était un coup de colère et fortement provoqué par Valentin qui a dit lui-même qu’il était venu pour le tuer. Le discours de François en haut de sa fenêtre alors qu’il surplombe la foule accumulée en bas est saisissant.


Enfin, je voulais saluer la beauté des images, comment ne pas être impressionné devant le travail sur les plans, un cadrage magnifique, une lumière maitrisée et des émotions toujours parfaitement captés.
https://zupimages.net/up/17/52/hjqu.jpg
https://zupimages.net/up/17/52/0np9.jpg


Sans parler du plan final qui est surement un des plus beaux que j’ai pu voir, la lumière des grenades lacrymogènes mêlée aux premiers rayons du soleil symbolisant le jour qui se lève et par terre cet homme qui vient de mourir. Une triste ironie, les rayons du soleil symbolisent d’habitude l’espoir, ici ils apparaissent à la suite d’un suicide. Carné symbolise un monde qui souffre et dont l’équilibre est brisé.


En résumé un très bon film dont le travail des acteurs et de l’équipe technique est remarquable, dont le message est fort, dont les personnages sont bien écrits tout comme son scénario révolutionnaire pour l’époque et ses dialogues travaillés. Un film intelligent, beau et profond, que demander de plus ?
Ce film prouve que le cinéma français a su être grand, espérons qu’il ose de nouveau se démarquer et sortir de la noire période qu’il traverse pour revenir plus grand.

nicolas68
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le 31 déc. 2017

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Nicolas68

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