Le Joli Mai par cedricrassat

"Le Joli mai" est un film documentaire que Chris Marker et Pierre Lhomme ont tourné au mois de mai 1962. Pendant un mois, ils ont sillonné les rues de Paris pour interroger ses habitants sur leur vision de la vie, de l'avenir, de la société, etc. Les générations, les métiers et les sexes se croisent donc pour composer, in fine, un portrait passionnant de ce qu'a pu être Paris (et, donc, la France), à ce moment précis de l'histoire (que la voix-off, incarnée par Yves Montand, décrit même comme l'un des "grands carrefours de l'histoire humaine"). 1962, c'était il y a cinquante ans. "Seulement cinquante ans", serais-je tenté d'écrire ! Et pourtant, on a vraiment l'impression d'être dans un autre siècle. Comme le dit l'un des intervenants (sociologue, a priori), la société française est alors "en retard" sur son époque. Le progrès est là, la société est en pleine mutation, mais les rêves de la plupart des gens, ceux qui ont été façonnés dans "l'ancien monde", sont devenus trop étriqués par rapport à tout ce que semble pouvoir offrir cette société nouvelle qui émerge au début des années 60. Le diagnostic me semble très juste et c'est même ce qui rend ce film vraiment passionnant. Par exemple, j'ai été sidéré de voir des jeunes femmes, apparemment modernes et bien intégrées dans leur époque, expliquer qu'elles ne voulaient pas le droit de vote et que la politique n'était pas faite pour les femmes, etc. C'est, évidemment, grâce à ce genre d'interventions qu'on mesure le chemin parcouru... L'autre point frappant, c'est la qualité de langage et d'analyse dont font preuve la plupart des intervenants. Dans sa toute dernière partie, le film prend une forme plus libre, plus inventive, et inspirée par les rythmes du jazz. Dans son discours off, Yves Montand se met alors à disserter sur la notion de liberté et sur la difficulté que semblent avoir beaucoup de ses contemporains à comprendre ou à accepter l'idée qu'ils font partie d'une société humaine très vaste. Finalement, le changement le plus marquant de ce début des années 60 serait là, dans cette obligation pour l'individu à se penser comme faisant partie de l'immense communauté humaine et, donc, plus seulement comme un élément singulier, isolé, avec ses propres problèmes, etc. Bien sûr, les idées communistes ne sont pas très loin, mais "Le Joli mai" parvient à faire exister cette société de 1962 et à rendre palpable ce sentiment de "collectivité". C'est absolument remarquable !