Visconti, jusqu’à présent, j’en avais peu vu, souvent par bribes, et ça m’avait totalement laissé sur la touche. Seulement voilà, parce que le pitch de ce « Guépard » m’intriguait, et aussi parce qu’un collègue cinéphile ne cessait de dire tout l’amour qu’il avait pour ce film-là, j’ai profité d’une diffusion sur Arte pour me risquer à ces 2h50 de « chef d’œuvre incontestable » pour reprendre les mots de la chaîne. Eh bah désolé Arte, mais moi, je vais me permettre de contester un petit peu…


Loin de moi l’envie de tomber dans cet exercice ridicule consistant à démontrer par « a + b » ce qui définit « objectivement » un chef d’œuvre. Moi je n’écris pas des critiques sur Sens Critique pour faire valoir un statut social ou défendre une culture de domination. Je suis là pour transmettre un ressenti. Et mon ressenti c’est que – de un – ce film m’a fait progressivement sombrer dans l’ennui – et de deux – j’ai trouvé son propos plus que douteux pour ce Visconti qui aimait tant se définir comme un communiste de la première heure.


Pourtant, je l’avoue, au départ j’ai été plutôt conquis. On ne pourra pas retirer ça au réalisateur italien : je trouve son cinéma très soigné formellement. Cadrage et photo magnifiques : au moins le plaisir des yeux était là. Et puis aussi, pour un auteur à qui je reprochais d’aimer se complaire dans de longues scènes de blablas vains, là le début de ce « Guépard » sait être assez dynamique. Il pose tout de suite ces personnages en plein cœur de sa révolution garibaldienne et indique assez rapidement les différents chemins que l’intrigue va se risquer à prendre. Or ça, je trouve, ça marche. Il y a de belles scènes d’extérieur qui alternent avec des scènes de dialogues qui surviennent dans des cadres variés – des scènes souvent très riches de sens et de suggestions – le tout porté par une intrigue qui se développe assez vite. (La révolution militaire est bouclée en une demi-heure ; son entérinement politique au bout de trois-quarts d’heure.) Bref, j’avais là une belle dynamique qui promettait un regard riche et fort sur l’Italie du Risorgimiento…


Et puis, passé le premier tiers du film, un tout nouveau « Guépard » commence à se mettre en place. Plus vraiment d’extérieur. Les lieux se figent. Les personnages commencent à pérorer et pérorer encore… Chacun énonce son discours fort convenablement, mais de manière très didactique. Et là, j’ai commencé à mourir lentement sur mon siège… Parce qu’à bien tout regarder, on pourrait se demander à partir de quel instant le film arrive à la conclusion de son propos. Puisque la démarche visait manifestement à démontrer que...


...le passage de l’ordre noble à l’ordre bourgeois n’allait rien changé à l’Italie, mais qu’au change, celle-ci perdrait la classe, la pudeur et la grandeur qu’avaient ces nobles au regard de ces chacals de bourgeois...


...alors on peut dans ce cas-là clairement dire que le propos a fini d’être développé à la fin de la première heure. A partir de cet instant les personnages cessent d’évoluer et se présentent tel que Visconti entend nous les montrer :


l’opportunisme et le retournement de Tancrède sont évidents ; l’absence totale d’épaisseur et de distinction de Don Calogero et de sa fille est aussi clairement énoncée ; quand au Prince Salina, il n’y a désormais plus d’ambiguïté sur le regard qu’il convient de porter sur lui : c’est un noble, certes, mais un bon noble. C’est l’esprit lucide du groupe. C’est le Marty Sue viscontien de l’étape.


Bref, l’intrigue est finie au bout d’une heure, et il reste donc deux heures à se coltiner afin que le reste se déverse, lie comprise. Et là, fini la grande épopée ou la grande fresque historique. On retrouve le Visconti tel que je le connais et tel que je le rejette. On ne bouge plus et on paaaaaaarle… On parle pour dire et redire sans cesse la même chose. On parle pour illustrer l’archétype de personnage que l’on est. On parle lors de scènes interminables. Et la blague veut que l’ami Luchino nous conclue tout ça par une scène de trois-quart d’heure de bal mondain ! Une purge. Deux personnages discutent ensemble pour démontrer toute la différence qu’il existe entre la noblesse et la bourgeoisie et à quel point l’Italie y perd au change. Next. On prend deux autres personnages, et ils vont encore discuter ensemble pour démontrer toute la différence qu’il existe entre la noblesse et la bourgeoisie et à quel point l’Italie y perd au change. Next… Et tout cela pendant trois quart d'heure ! Horrible. Que c’est dur quand, en plus, on est parvenu à s’intéresser au début.


Bref, autant vous dire que, non, pour moi, ce film est loin d’être le chef d’œuvre incontestable qu’Arte voulait nous vendre. Et puis quel chef d’œuvre franchement ? Un film qui nous dit « Ah l’ancien régime ! Les nobles, les privilèges, les serfs, les corvées… Finalement c’était pas si mal ! » Eh bah il est beau le communiste italien ! En arriver là pour juste dénigrer du bourgeois, non seulement c’est ridicule, mais en plus c’est bien pauvre en argumentation. Donc non, pour moi le « Guépard » n’est pas un chef d’œuvre. Il n’est pas inintéressant, loin de là, mais je peux vous dire qu’on ne risque pas de m’y reprendre à le revoir de si tôt !

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le 18 juin 2019

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