• Quand on a décidé de faire votre sale métier. Faut bien s'attendre au pire.

  • Nous savons que tous les métiers ont des risques. Ils ont des règles.

  • Et ses règles je vous conseille de les respecter.




Un métier comme un autre...



Sergio Corbucci livre un western sans compromis axé autour d'une histoire brutale qui va sans aucun filtre arpenter la misère humaine dans tout ce qu'elle a de plus méprisable. « Le Grand Silence », œuvre de la maturité, récit d’une désillusion totale, surréalisme d'une vision épouvantable, manipulation d'un cadre austère avec des personnages isolés qui sont plongés dans une terrible réalité aux conséquences maximales. Un drame profondément sombre, malsain, pessimiste et triste, articulé autour d'une tension déprimante qui ce complet à contextualiser la violence par une description cruelle de la sauvagerie humaine. L'avidité, la corruption, le racisme, l'injustice, la brutalité, la vengeance, sont les fins mots de ce far west qui nous plonge sous un déluge d'agressivité, dans ce qu'elle a de plus horrible et conséquente, et de moins jouissive et innocente. Un incontournable incomparable dans bien des aspects, qui laisse une marque gravée au fer rouge par le biais d'un récit absorbant, en proie à des personnages traumatiques et complexes appuyés par des dialogues vibrants sur des actions retentissantes. Une œuvre conséquente située en 1898 dans la ville de Snow Hill, où des chasseurs de primes impitoyables et méprisables assassinent pour une poignée dollars et quelques dollars de plus des citoyens affamés, qui sont obligés de voler pour se nourrir, faisant d'eux des hors-la-loi pourchassés obligés de se cacher dans des montagnes enneigées de l'Utah au Colorado. Une situation compliquée qui va obliger le groupe à embaucher un chasseur de primes pour en chasser d'autres, jusqu'au dernier face-à-face. Pour illustrer cette pièce macabre, Corbucci va s'entourer d'une distribution irréprochable avec des comédiens brillants !


Sous les traits de "Tigrero", l'acteur "Klaus Kinski", défi les lois de la gravité ! Une performance aussi incroyable que diabolique qui bouleverse la figure mythique des chasseurs de primes établis par Sergio Leone en renversant les codes par une condescendance amère et diabolique. L'écriture du personnage est fantastique ! Celle d'un porte-flingue méprisable, malveillant, fourbe, sadique, menteur, en bref : "le pire des salopards". Une ordure qui n'a même pas conscience du fait qu'il est abominable de par le titre légal de sa profession. Profession, qu'il voit comme un job parmi tant d'autres.
« - Ça fait deux jours que je l'ai laissé là.
La neige ça conserve. Celui-là, il ne vaut que 500 dollars. Mais je ne crache pas dessus. C'est vrai, 500 dollars c'est bon à prendre. Il faut penser à ces vieux jours.
- Oui mais rien ne dit que vous vivrez vieux. Vous risquez de tomber sur quelqu'un de plus rapide que vous, un jour.
- Il faut prendre des risques quelquefois. C'est le métier. »

Avec son bardage, il débarque dans une région, pose ses bagages, établi un listing des têtes mises à prix dans les environs. Sur l'affiche "mort ou vif", seul la possibilité mortuaire l'intéresse car un cadavre n'a pas besoin d'être nourri. S'ensuit du repérage jusqu'à ce qu'il sorte débusquer le gibier. Une pratique de chasse durant laquelle il déloge, ment, rassure, ajuste et abat aussitôt sa proie avec un petit sourire satisfait. Peu lui importe de savoir pourquoi les gens ont une prime sur la tête, tant qu'il y a un avis de recherche dessus tout le reste devient secondaire, même les lamentations des familles traumatisés ayant assistées à l'assassinat d'un aimé ne représente qu'un détail insignifiant. Pourquoi avoir des regrets, car après tout c'est le métier qui veut ça.
« Il faut essayer de nous comprendre, c'est notre pain quotidien. »
Traquer, dégainer, tirer et encaisser pour passer à la ville suivante et recommencer le même cheminement encore et encore. Une vie pépère routinière, où après une bonne journée de travail, on va au bar pour décompresser avec innocence, joie et légèreté autour d'un verre accompagné d'un jeu de cartes avec les collègues autour avec qui on se conte le sourire aux lèvres notre besogne du jour. En somme, une journée comme une autre selon Tigrero, un homme sans état d'âme d'une dangerosité absolue que le comédien transcende par une performance irréprochable qui en fait l'un des plus grands antagonistes de tous les temps. Klaus Kinski est fascinant, diabolique et génial : « avec son regard perçant, il est la star du Grand Silence ».


Jean-Louis Trintignant bien que moins démonstratif est excellent sous les traits de Silence, un muet au passif traumatique. Il est le grand silence, celui qui interdit de parler, quels que soient la douleur et le mal ressentis. Le bon Samaritain des opprimés, exterminateur des chasseurs de primes qu'il déteste. Un tireur hors pair qui se refuse à être aussi odieux que ses cibles, attaquant à chaque fois qu'en situation de légitime défense.
« - Qu'est-ce qu'on attend, on ne l'arrête pas ?
- Non, c'est Charlie qui a sorti son pistolet le premier. L'autre était en état de légitime défense. La justice ne peut que constater les faits. Le tout c'est de tirer le premier.
- Oui, mais pour tirer aussi vite que ça il faut être aussi rapide que le diable.
- Et qui est-ce qui a dit que ce n'est pas le diable. »

Une façade, qui ne sert qu'à justifier les tueries commanditées. Car si les chasseurs de primes ont les avis de recherche pour justifier leur légalité à tuer, Silence, lui, possède la légitime défense. À chacun ses armes ! Un Mauser C96, qu'il manie avec dextérité et avec lequel il aime dégommer les pouces de ses adversaires. Une gâchette foudroyante que Tigrero sait trop rapide pour lui, refusant de céder aux provocations de Silence pour ne pas lui offrir l'occasion d'être en légitime défense. Deux personnages complémentaires entre Kinski qui prend toute la lumière et Trintignant les ténèbres. Malgré son mutisme, Trintignant offre un jeu convaincant qui trouve dans sa relation avec "Pauline" par une Vonetta McGee particulièrement convaincante, une belle relation qui dans ce monde barbare vient offrir un semblant de paix au cours d'un échange envoûtant. Surmonter le chagrin par la vengeance !



Comme le veut la loi...



Survient d'autres protagonistes comme le shérif "Burnett" par Frank Wolff, qui officie en tant que personnage sympathique très à cheval sur les procédures et la loi. Un rigolo pas du tout idiot qui va s'avérer être une bonne punaise dans le pied de Tigrero. Le banquier corrompu et juge de la paix "Pollicut" incarné par Luigi Pistilli, est également un bel enfoiré, encourageant les chasseurs de primes à traquer les miséreux en ajoutant un pourcentage sur chaque cible abattue. L'approche que Corbucci a adoptée pour filmer l'ensemble des comédiens s'avèrent très efficace tant chaque performance est frappante de réalisme. Un autre personnage phare de ce western : "son environnement". Des décors figés et suspendues faisant une parabole entre la froideur du cadre plombé de solitude, et l'inhumanisme des protagonistes écrasés par l'âpreté des éléments qui s'inscrivent dans la logique des thèmes décrits. Un désert blanc hivernal perturber par le bruit d'un vent hurlant virulent faisant écho avec les râles silencieux de notre héros muet. Un cadre ectoplasmisque sensationnel à l'origine d'un manteau mortuaire brumeux effrayant, étrange, silencieux, hypnotique, spectaculaire et morbide, idéalisé par des plans superbes construit autour d'une image artistique obsédante, alliant la blancheur spectral à la rougeur du sang des victimes. Des lieux de tournage exceptionnels pour une direction technique brillante. Une idéalisation de la structure qui se retrouve jusqu'à la conception des costumes, des maquillages, du cadre, jusqu'au son. Des éléments fourmillant de petits détails qui font la richesse de cette pièce. Une direction de premier ordre que l'on retrouve jusqu'au montage et la mise en scène avec des images savamment choisies. Une macédoine d'éléments qui en fait une expérience impressionnante qui parvient à nous isoler pour mieux nous faire ressentir le terrible contraste froid. Le génie d'une cinématographie envoûtante qui parvient à retranscrire le conflit intérieur humain par une élaboration minutieuse et complexe de son contraste. Une recherche esthétique insolite à tous les niveaux !


Ennio Morricone frappe une nouvelle fois avec intelligence en proposant un thème musical principal surprenant qu'il porte au plus haut. Une composition qui change complètement du ton enjoué et dynamique des classiques habituels auquel il se livre pour le genre. Une grande composition qui correspond parfaitement à l'atmosphère désespérée qui écume tout du long cette fresque dramatique. Une bande sonore morose, triste, étrange, fascinante et belle à la fois. Un titre musical en osmose avec l'action véhiculée pour une immersion totale qui sait autant jouer des silences et des sons, que de sa partition pour garantir une palette dramatique riche en émotions. Une élaboration musicale savamment portée par une dynamique électrisante qui alliée à la réalisation de Corbucci solidifie une ambiance empreinte de désolation et d'amertume. Une atmosphère envahissante qui immerge le spectateur pour mieux le noyer et le posséder. Dès lors, on comprend rapidement qu'on ne ressortira pas indemne de notre séance. Un chant funèbre désenchanté. Un coup de maître !


Le cinéaste italien illustre remarquablement la portée de son œuvre en confrontant son récit à de nombreuses sensations fortes, où le désespoir et le chagrin dominent. Des rebondissements organisés autour d'un climat de violence sadique qui n'a rien de réjouissant, ni de jouissif, s'affirmant avec gravité et intensité. Des péripéties par lesquelles l'on va assister à des séquences de fusillades marquées d'une hyper violence à ne pas mettre à la portée du premier venu. Un théâtre dramatique agressif et transgressif d'une radicalité troublante qui n'oublie pas d'assurer le spectacle via des chorégraphies haletantes sur une juxtaposition de gravité, qui aurait pu sur la longueur rendre le récit indigeste mais qui parvient à diluer et alléger son contraste catastrophique à travers quelques scènes détournées, comme durant la belle scène sexuelle entre Silence et Pauline, ou encore l'attitude plus légère et nonchalante du shérif. Arrive le final ! Un duel désespéré sous la neige à couper le souffle qui termine d'achever le spectateur avec une maestria rare. Une finalité nihiliste unique en son genre, tout droit sorti d'un esprit malade qui va jusqu'au bout explorer les méandres de sa folie et l'extérioriser en quelque chose d'inédit pour nous tourmenter et nous corrompre. Une conclusion audacieuse d'un réalisme implacable et sanguinaire qui hisse la noirceur au sommet. Une œuvre quatre étoiles qui n'est pas sans défauts avec des problématiques mineures qui ne sont pas suffisantes pour gâcher l'expérience énorme et déchirante que représente ce western inespéré.  


  

CONCLUSION :



Le Grand Silence est un western unique porté par un lyrisme macabre et anarchiste qui enduit son périple d'un environnement saisissant sur une grandeur de paysages enneigés qui de son vide profond contraste tout du long entre la pureté de ce blanc divin et la dureté de sa froideur implacable. Une expérience obsédante et douloureuse véhiculée par une atmosphère étouffante et une explosion de violence choquante, que la partition extraordinaire d'Ennio Morricone vient bonifier. Un contenu original sur un ton sans compromis et sans joie pour un final si couillu qu'il se pose comme un incontournable parmi les incontournables.


Le Grand Silence est celui qui interdit de parler, quels que soient la douleur et le mal ressentis. Klaus Kinski est sa vedette !




  • Si j'en juge par ces affiches, ils devraient être quatre. Je vous ai vu en charger que deux.

  • Oui, le second et le troisième. Et il y en a un autre qui se trouve déjà sur place et qu'on ne m'a pas encore payé.

  • La prime est la même qu'il soit mort ou vivant. Mais vous si j'ai bien compris vous êtes spécialiste en cadavre.

  • Ça coûte trop cher de les prendre vivant. Et c'est pour ça que la loi se montre compréhensive.


B_Jérémy
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le 22 juin 2022

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