Le Grand Bleu, autrement dit l’océan, vaste désert aquatique qui attire autant qu’il inquiète aurait pu faire un film d’une grande profondeur sur un retour aux sources de l’humanité d’un homme qui au mieux, est indifférent au monde dans lequel il vit au pire, le rejette totalement. Luc Besson, s’il a du talent, n’a pas celui de réaliser autre chose que des films de divertissement dissimulés sous un vernis faussement intellectualisant. Lorsqu’il tente d’aborder des sujets forts, il le fait de manière superficielle, comme s’il craignait d’ennuyer son spectateur.

Jacques Mayol, plongeur en apnée dont ce film ce veut la très libre biographie, a renié le film et il n’est pas le seul. Le thème principal est cette amitié, basée sur le rejet et la domination, qui aurait lié Jacques Mayol et Enzo Molinari son grand rival. Une amitié malsaine puisque Mayol aurait été ce petit Français sans personnalité et constamment muet comme une carpe, dominé par ce grand Italien excessif qui aurait fait de lui son faire-valoir, cet être qu’on exhibe en société pour s’y comparer et montrer combien au vaut mieux que lui. On peut comprendre la réaction du vrai Mayol à l’égard du Grand Bleu, il y est décrit associable, égoïste, immature et presque autiste. Si Besson voulait créer un personnage pourquoi lui donner le nom d’une personnalité ? Pourquoi ne pas faire de la vraie fiction ?

Chose étonnante de la part d’un réalisateur qui se veut tellement innovant, sa mise en scène est d’un classicisme déconcertant, les mouvements de caméra sont répétitifs et Besson fait preuve de manque d’imagination. C’est vrai qu’il y a de jolis plans mais enfin, quand on film l’océan ou les îles grecques, il faudrait être le dernier des manchots pour ne pas parvenir à en tirer quelques belles images. Mais ce qui frappe, c’est surtout la banalité du montage, là où des réalisateurs vont faire preuve d’imagination, tenter quelques transitions géniales, Besson semble réciter sa leçon comme un élève qui dirait une superbe poésie d’une voix monocorde et soporifique. C’est comme un cadeau qu’on vous offrirait avec un magnifique emballage et à l’intérieur vous trouvez un gaufrier. C’est LE gaufrier, mais c’est un gaufrier quand même…

On a aussi dit du bien à l’époque de Jean-Marc Barr, sorte de Jacques Mayol insignifiant tant il joue bien l’homme qui courbe l’échine et se fait ridiculiser sans broncher par Enzo, comme s’il aimait ça. Mais Jean-Marc Barr semble ici juste capable de baisser la tête et de faire la tronche. Sans jeu est figé en une unique expression tout le long du film, quand il apprend qu’il va être papa rien ne semble s’éclairer dans ses yeux, il s’en moque totalement et nous énerve. Il en devient tellement crispant qu’on a envie de mettre une grande baffe à cette caricature d’éternelle victime. Il faut dire que Jean Reno ne l’aide pas beaucoup en sur-jouant l’Italien fort en gueule qui ne se nourrirait que de pâtes préparées par la Mama, les clichés ont la peau dure. Il n’y a guère que Rosanna Arquette pour apporter une touche de charme et de fraicheur. Elle est très bien en amoureuse éperdue du petit Jacques, mais dépassée par ce type qui semble se désintéresser d’elle et préfère faire des câlins aux dauphins qu’à sa chérie.

Le Grand Bleu a été, à son époque, un formidable carton qui a attiré à lui une jeunesse qui voyait là un véritable appel à la Liberté. Malheureusement, Luc Besson ne fait ici qu’effleurer son sujet peut-être par manque de considération pour son public ou pour lui-même. Il a pourtant l’originalité du sujet, de bons acteurs mal utilisés (sauf Jean-Marc Barr, lui est vraiment mauvais), mais il ne reste au final que la musique d’Eric Serra, sa majesté Eric Serra qui laisse ici exploser son talent d’alchimiste de la musique. Cette bande originale est une des plus belles du cinéma et colle parfaitement à son sujet, à tel point qu’on peut, étant adolescent, se la passer pendant des années pour s’endormir le soir et rêver de dauphins. Cela suffit-il à faire un film ? Pas du tout, mais cela a permis de faire entrer celui-ci dans la mémoire collective et ça, c’est un tour de force.
Jambalaya
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le 5 déc. 2013

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