La comédie française frémit cette année, et Cannes a pu joyeusement s’en faire l’écho. Après le coup d’éclat du Monde est à toi en Quinzaine, et avant, annonce-t-on déjà, le très réussi En Liberté de Salvadori, Le Grand Bain se faisait l’honneur d’une sélection hors-compétition qui permit une récréation sur la misère du monde.


Le film a tout pour séduire le plus grand nombre : un casting de talents diversifiés, un sujet original – même s’il rejoue la dynamique de The Full Monty, autre comédie sociale de son époque, et une ambition d’empathie qui dépasserait la simple bouffonnerie. Gilles Lellouche, dont c’est la première réalisation en solo, ne démérite clairement pas : la réalisation est maîtrisée, des scènes collectives aux portraits sans fard, s’essayant à quelques effets (notamment le recours à des plongées qui isolent assez poétiquement ses personnages) sans jamais tomber dans l’ostentatoire.


Le point d’équilibre entre les différents registres est lui aussi assez pertinent : Le Grand Bain n’est pas une comédie permanente, et le regard porté sur ses protagonistes traite avant tout de l’imperfection : l’âge, l’embonpoint, la fatigue irriguent cette équipe de bras cassés qui se mettent à nu sur tous les domaines. Nulle méchanceté dans le regard du réalisateur, mais un désir d’authenticité qui fait souvent mouche, particulièrement dans les séquences de groupe où la synergie fonctionne et touche : la spontanéité des comédiens, leur capacité à ne pas ramener la serviette à eux (on appréciera, par exemple, le temps que Poelvoorde met à prendre la parole, et la façon dont on l’interrompt régulièrement) et le rôle bicéphale attribué aux coachs, l’une maternante et l’autre militaire occasionnent les meilleures scènes du film.


On aurait sans doute pu se limiter à ce portrait d’une équipe, avec, par touches, quelques regards appuyés sur des confidences comme on les voit de temps à autre : c’est quand il recourt à l’ellipse que le récit s’en sort le mieux, à l’image de la manière dont Amalric commence à expliquer sa dépression aux autres, ou la façon dont le personnage d’Anglade présente sa composition pour leur chorégraphie. Mais ce n’est malheureusement qu’une proposition parmi d’autres ressorts d’écriture. Après une exposition assez laborieuse qui se doit d’aller visiter les chaumières d’une grande partie du groupe, le récit va s’acharner à nous en donner toutes les mécaniques étapes : situation initiale pathétique, élément perturbateur pitoyable, crise de rupture tonitruante, avant les embrassades finales dans la joie humide.


Le film n’avait nullement besoin de durer deux heures : si ses dialogues sont le plus souvent efficaces, sa structure générale est bien trop scolaire, distribuant méthodiquement toutes les situations possibles de la lose, problème avec : mon épouse / ma mère / ma solitude /mon beauf –qui trouve que la natation synchronisée c’est un truc de tafioles - /ma fille ado méprisante / mon fils ado bègue / mon alcoolisme / ma rupture / mes dettes… et tous les seconds rôles qui vont avec, et qui auront droit à leur grand moment de vérité qui fait bien face aux « connards » et « connasses » qui semblaient dominer dans la première partie.


Curieux déséquilibre que cette belle vérité des individus se révélant dans une danse collective, mais s’engluant malgré eux dans des pesanteurs d’écriture dispensables ; et un constat intéressant : ce n’est pas en surajoutant des vérités qu’on aboutit à l’authentique.

Sergent_Pepper
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le 26 oct. 2018

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Sergent_Pepper

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