Il est des séances quelque peu exceptionnelles. Semblables à de l’eau bénite, pour ainsi dire. Non parce qu'elles révolutionnent le Cinéma ou en renforcent l’édifice, mais bien parce qu'elles touchent à quelque chose tenant davantage de la communion entre l’Image et son public : essence du cinéma, où les émotions se captent, se transmettent et se projettent au-delà de l’écran. Des spectateurs si réceptifs à ce tendre et tordant ballet aquatique qu’ils en sortaient non seulement avec quelques sourires, mais aussi avec ce même émerveillement dans le regard. Et la conviction peut-être, que désormais les carrés pourraient être des ronds, si l'envie leur en prend.


Il est alors intéressant de voir à quel point la notion de causalité émotionnelle simplifie tout le processus de notation. Je suis heureux PARCE QUE Le Grand Bain en est la source. Simple. Ne restait alors qu’à situer mon état de sérénité sur « l’échelle du bonheur subjectif » pour en extérioriser l’opinion. Paraît-il que les réunions de motivation et autres groupes « anonymes » s'en servent pour redonner confiance aux cas les plus extrêmes. Car pourquoi vouloir ingurgiter une tonne d’antidépresseurs quand on a le 7e art pour s’évader ? La prescription est sans appel : perdons pied dans Le Grand Bain.


Hommes-dauphins, à contre-courant & gestuelle aquatique, dans le chlore de la dépression, le moral en quarantaine remonte ; d’une équipée sauvage ou presque, au fond de la piscine, noyade de rires, et bouée de larmes, etc. Mes mots s’y perdent, les maux s’envolent, et un sourire en émerge. Le syndrome du bien-être ? On n’en est pas loin. Car Le Grand Bain puise dans le meilleur de la comédie pour nous concocter un programme sportif, synchronisé et vivifiant. Puisque le bonheur, c’est simple comme des pieds dans un pédiluve.


40 ans, toujours sous l’eau. Accrocheur, n’est-ce pas ? De son prologue socialo-géométrique, et son collage en voix-off façon L’île aux Fleurs, Le Grand Bain s’ouvre sur de solides bases, mathématiques, et traite sa métaphore comme un leitmotiv, un problème rationnel à réponse irrationnelle. Puisque la vie n’a rien de logique, et ne se définit ni par un carré, ni par un rond. Puis le cadre s’élargit, et dans un mouvement très « Teen Movie », les Tears For Fears pénètrent ironiquement l’intimité de Mathieu Amalric (exceptionnel), gobant les antidépresseurs comme des céréales au petit déjeuner : Everybody Wants To Rule The World ? Peut-être, mais pas lui.


Société dégénérescente, rêves brisés, bidons en avant, êtres en faillite, vie désynchronisée, les personnages du Grand Bain n’ont rien de vainqueurs olympiques, et pourtant, c’est en les approchant, en épilant le maillot, en les mettant à nu, en les rassemblant, qu’ils triomphent, et se dérobent aux bas-fonds. L’alchimie entre les comédiens est incroyable : qu’ils soient vendeur de piscine irresponsable (Benoît Poelvoorde poilant), rock star en camping-car (Jean-Hugues Anglade saisissant), solitaire extravagant (Philippe Katerine désopilant et extraordinaire), père anxieux (Guillaume Canet émouvant) ou dépressif sur canapé, tous ont leur moment de gloire (ou presque), leur moment de choir, et ensemble, ils resynchroniseront leurs existences sur la même cadence. Chacun pour tous, tous pour un. Sans oublier Leila Bekhti, Marina Fois et Virginie Efira absolument formidables. Harmonie telle que l’on se permet d’ailleurs de pardonner quelques facilités et lourdeurs narratives.


Lellouche s’amuse des références, les singe (tel cet hilarant vol des maillots de bain à la Ocean's Eleven), pour mieux en exhorter un certain côté « pathétique bienveillant » : un anti Chariot de Feu (les Charlots du bassin ?), contre le culte du corps, où l’entraînement se fera à coup de Full Metal Jacket, de travellings gauche-droite/ droite-gauche, insistant sur les individus au sein du groupe et la force du collectif. Le message est clair : venez comme vous êtes (sans faire de publicité clownesque). Puisque Le Grand Bain excelle à déployer son panache de l’imperfection. Une dynamique narrative très proche de The Full Monty ou de ces comédies sociales anglaises revigorantes et « Virtuoses ».


Et la réalisation se révèle étonnamment propre, travaillée et pleine de sens : plans de grue, travellings, ellipses, sur-cadrages, Lellouche se permet même des effets doubles focales à la De Palma. Une mise en scène jouant sur les ruptures, et destinée à percer l’envers des apparences : des plans coupés par l’eau, insistant sur les imperfections humaines, l’envers de l’Iceberg finalement, et sa flottabilité incertaine/ instable sur l’océan de la vie.


A l’instar de cette séquence en travelling arrière, où Philippe Katerine rit, mange, d’abord isolé dans un gros plan, fort, joyeux, chaleureux, avant de laisser la fragilité s’immiscer dans un élargissement du cadre, comme pour en exposer la tragédie de la solitude : de l’intérieur souriant à sa déchirure extérieure, du collectif soudé à la solitude individuelle, de la comédie aquatique au drame de la dépression. Des personnages qui seront d’abord isolés dans des plongées avant de reprendre le contrôle sur l’angle de leur propre vie. Puisqu'il faut parfois toucher le fond (de la piscine) pour pouvoir remonter.


Inutile d'y chercher des symboliques, un « Poetic Cinema » ou autres sous-entendus théoriques. Car Le Grand Bain se refuse à tout sarcasme, à tout ricanement moqueur, et laisse le rictus du cœur s'exprimer. De proximité, il en est toujours question, tant ces solitudes s'assemblent et nous ressemblent, un peu, beaucoup et toujours passionnément. Puisque ces quadras à la marge, à la masculinité découragée, ne pataugent pas dans le petit bassin : ils terrassent les profondeurs du Grand Bleu et gravissent les Mavericks de Point Break. Coule Monty ? Pourquoi pas. Les frissons nous gagnent, le sourire s’élance, et sur un Easy Lover, ou un coucher de soleil, Le Grand Bain fête sa victoire en nageant, synchronise les rires et solidarise son audience. Pour ne plus rire seul à sa table, et partager ce bon repas en salle de cinéma.


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le 3 nov. 2018

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