Le réalisme chez les Dardenne est une contrainte, autrement dit tant une éthique qu'une esthétique. Si le cadre de leur film s'intéresse à ce gamin, pour autant tout ne s'y réduit pas et constamment une force centrifuge exige de la présence des personnages secondaires la possibilité d'une échappée, d'un embranchement. Ceci n'impose pas aux images et aux scènes d'être de simple signifié mais interdit aux personnages toute portée mythique.
Le monde du Gamin au vélo est une mécanique tout en concentration et détente, en nœuds et ventres où se lit la dynamique de l'obstination. Classiquement, un champ/contre champ suffit à faire comprendre au spectateur l'origine de personnage et son objectif. Les Dardenne en alternant arrêts et courses, font de Cyril un projectile soumis au ressort d'une volonté acharnée autant qu'indéterminée dans sa finalité. Cyril courant après le voleur de sa bicyclette, lui-même marquera sa courses d'arrêts où le souffle récupéré s'accompagne d'une prise d'information sur l'objectif à atteindre qui nous est à peine montré au fond du plan, ou au bout d'un traveling. Le but est bien de toute façon un expédiant, toujours repoussé en même temps qu'il marque, à la manière d'un jeu vidéo, les étapes pour parvenir à la fin : le vélo, le père, un foyer. C'est la trajectoire qui importe.
Le mouvement que fait l'enfant en fugue est celui d'un retour qu'illustre le demi-tour qu'il accomplit pour prendre un bus. C'est ainsi que se comprend que la mise en foyer est un lieu hors trajectoire. Pour reprendre la trajectoire qui est la sienne, Cyril devra retourner là où il l'avait laissée en points de suspension : chez son père. A ce moment-là, son histoire peut commencer. Elle a un point de départ, même s'il n'y trouve pas ce qu'il cherche.
Le désir toujours entretenu est l'aliment de la fiction en tant qu'alibi de la quête. Et ce que va finir par comprendre Cyril qu'il cherchait c'est un foyer. C'est un repère. Il y a une poétique de l'interaction chez les Dardenne qui met en œuvre l'échange. On ne comprend pas la patience de Samantha si on ne voit pas que Cyril lui a déjà et d'emblée donné quelque chose en se jetant sur elle dans la salle d'attente du médecin. Un statut. Son salon le figure d'ailleurs qui est illuminé dans la nuit. Elle sera son repère. Alors on voit qu'à l'obstination de Cyril lui répond exactement celle de Samantha. C'est ainsi que l'amour est tant quelque chose à recevoir qu'à donner. Les frères Dardenne font ainsi le pari d'une algèbre de la simplicité. Tout s'arrange en une belle fin, où les pardons sont accordés et les équilibres retrouvés. Où la fiction s'arrête faute d'aliments, l'action se brise faute de tension. Et l'enfant de retourner chez lui, enfin, comme sans vitesse, le projectile retourne à la terre.
reno
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le 18 janv. 2012

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reno

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