Avec ce film, qu'il considérait comme son préféré, Elia Kazan inaugura sa trilogie américaine, poursuivie avec La fièvre dans le sang et America, America, où le réalisateur parle son pays d'adoption de manière plus personnelle par des situations vécues. En l'occurrence ici, lors du New Deal, où l'état crée une commission pour le Tennessee, la TVA, chargée de créer des barrages pour endiguer des inondations dans cet état, et des agents sont mandatés pour demander aux propriétaires de maisons sur des zones inondables de les quitter, moyennant argent.


C'est la mission du personnage de Montgomery Clift, où il arrive non sans mal à une maison où une vieille femme refuse de s'en aller, car elle y est restée elle et feu son mari toute leur vie, mais il est également attiré par la petite-fille, jouée par Lee Remick..
Démarrant de manière bouleversante par des archives d'inondations dans le Tennessee, puis par le témoignage d'un homme qui vient de perdre ses trois enfants emportés par les flots, Le fleuve sauvage est de ces films qui vous emportent.


Sous couvert d'une histoire qui a réellement du se passer à cette époque, Elia Kazan parle en substance de cette Amérique d'alors qui souffrait, qui avait du mal à se relever de la crise financière de 1929, avec des plans éloquents sur la ville où les magasins sont à vendre, et les gens qui font la queue pour leur ration quotidienne, sous le regard du personnage de Clift, qui traverse le film comme un fantôme, une âme fatiguée. C'est peut-être dû à l'état de santé du comédien à cette époque, lequel vivait sous l'emprise de l'alcool, mais sa fragilité physique est presque une force, mais je l'expliquerais plus tard.


Le film est une dualité entre une Amérique qui veut, qui doit se moderniser, face à un pays plus rural, qui ne comprend pas, qui est très bien comme il vit, au mépris des dangers apportés par les inondations. Cela passe surtout par cette vieille femme, incarnée par Jo Van Fleet (laquelle a été maquillée, car à l'époque, elle n'avait pas 45 ans), qui incarne le côté terrien de l'histoire, qui ne veut pas bouger de ses fondations, car elle est née ici, a vécu ici, et a même déjà prévu son tombeau où elle reposera auprès de son mari. A ses côtés, il y a sa petite-fille, jouée par la remarquable Lee Remick (et pour qui ce sera le meilleur film de sa carrière), une jeune veuve qui reste elle aussi dans ce bouge auprès de sa grand-mère, avec ses deux enfants, et dont le mari est décédé d'une raison inconnue.


C'est par elle que va se construire le côté mélo du film, formidablement exploité par Elia Kazan en dépit de la censure de l'époque. Car on voit finalement que dans sa future romance avec Clift, c'est elle qui va prendre les devants, qui va montrer son envie, voire son désir sexuel, ne serait-ce que les états dans lesquels elle se met quand elle voit ce bel homme, qui a l'air si différent.
Et elle constitue une véritable force face au côté malingre du personnage de Clift ; lui parait si frêle, elle est pleine de vie, notamment des très beaux moments où elle joue avec ses enfants, et on croirait voir la véritable Lee Remick, 24 ans à l'époque, dans une scène arrachée de la réalité.
Pour l'anecdote, on voit rapidement Bruce Dern (de trois-quart dos) dans une scène de station-service, et pour qui c'est son tout premier rôle.


Le fleuve sauvage est aussi une critique sur l'Amérique d'avant, avec ce racisme latent, où les Nègres sont exploités pour trois francs six sous, la montée du capitalisme avec les patrons de la TVA qui trouvent le temps long, et l'individualisme forcené de la vieille femme à rester sur son îlot pour un barrage qui pourrait être bienfaiteur pour la population.


C'est un film très grande richesse, qui parle très bien de cette époque, celle d'une Amérique qui veut se redresser, qui veut faire table rase du passé, et qui passe par une histoire d'amour magnifique entre deux êtres si différents de prime abord.

Boubakar
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le 6 nov. 2016

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