Le Film de mon père
Le Film de mon père

Documentaire de Jules Guarneri (2023)

Portrait d'une famille à problèmes. Jules Guarneri est cinéaste, mais affainéanti (on le suggère ?) par la manne familiale - bientôt dilapidée, nous avertit-on ! - sur laquelle repose toute la famille. Son père, Jean, décide alors de créer un journal-intime vidéo pour, selon ses propres termes, "amorcer la pompe" de la créativité de son fils.

Ce que l'on prend d'abord pour un acte bienveillant d'un paternel pour son descendant se révèlera en fait plus être un énième trip égocentrique d'un père embourgeoisé par mariage, n'ayant jamais eu besoin de travailler de sa vie et gardant désormais sous son joug, tel un hobereau tyrannique, la matrice familiale meutrie par la mort d'une mère, Christabel. Il l'avoue d'ailleurs lui-même: il adorerait que le film soit signé de son propre nom.

Saignant son étrange documentaire de pics non-dissimulées, Jules Guarneri superpose aux images de son père s'imaginant obtenir la paternité du film les crédits de son propre long-métrage : "Un film de Jules Guarneri". Voilà que commencent les règlements de compte.

Et c'est ici que Le Film de mon père est le plus gênant. Offrant au spectateur un œil voyeur sur tout le quotidien de cette étrange famille, décidément mal-fonctionnelle, il ne nous épargne rien des fêlures de ses membres. Outre le père tyrannique, sur lequel nous reviendrons, il s'attarde sur ce fils adoptif, employé municipal, passant quotidiennement plusieurs heures dans sa baignoire, dilapidant ses sous dans la commande de boucles-d'oreilles et s'enfermant dans une chambre qu'on attribuerait à un enfant en passe de devenir adolescent. L’œil de la caméra de Jules Guarneri se pose également sur son autre sœur, adoptive elle-aussi, peinant à avancer, toute lestée qu'elle est de ce passé de gosse de riche qui la plombe. Et au final, le réalisateur lui-même, un cinéaste embourbé qui peine à réaliser son film...

Le pire probablement ? Les longs monologues du père. Abscons, verbeux, déteignant la posture d'un dandy donneur de leçon pénible, ils allongent le documentaire et finissent la caractérisation d'un personnage antipathique. Et si le film s'arrêtait là, nous nous demanderions : pourquoi nous infliger une heure et quart de pleurnicheries bourgeoises, de pseudo-philosophie sibylline et de meurtrissures familiales profondes ? Mais s'ajoutent à cette étrange galerie de personnages l'élément-clé et pourtant la seule absente : Christabel.

Mère décédée, héritière pourvoyeuse de toute la fortune domestique, elle semble être l'attraction qui garde captif dans le domaine familial tous les protagonistes de cette autofiction. Comme un spectre, elle hante chaque mur du chalet où évoluent Jules, son père et sa fratrie. Entre le rosier sous lequel ses cendres sont enterrées, sur-protégé par une femme-à-tout-faire fidèle à la famille depuis des décennies (et unique garante des tons comiques du long-métrage), et les photos érotiques qui dévoilent sa panoplie de porte-jarretelles et sa poitrine dénudée à qui veut bien les regarder, elle est de chaque plan.

C'est aussi elle qui donne à ce documentaire un souffle, lui qui, rapidement, devenait agaçant et abscons. Malgré un côté voyeuriste dérangeant - parfois carrément à deux pieds dans le malaise total - il est fascinant - presque magnétisant - d'observer ces êtres coincés sous la houlette d'un paternel despotique. Et Jules Guarneri semble bien l'avoir compris, en plaçant son père au centre du dispositif, tout en l'amputant d'une bonne partie de ses monologues de Crésus cultivé. Un documentaire en demi-teinte donc, aussi attirant que repoussant, qui parvient à créer chez son spectateur le même sentiment piégeux d'attraction dont semblent victimes les membres de cette famille. Et d'émailler son dispositif de véritables saillies poétiques, entre une nostalgie prenante et des réflexions sur la vieillesse et la transmission qui marquent leur cible.

Mr_Wilkes
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le 21 janv. 2023

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