Il n'y a pas de destin, mais ce que nous faisons

Il y a parfois des films dont on n'a jamais entendu parler ou qui sont des idées vagues ; et qui se dévoilent sans crier gare. James Cameron avait fait ça avec Avatar (2009) quatre mois avant sa sortie, alors qu'aucun visuel n'avait filtré et qu'il était considéré comme une arlésienne. C'est un peu la même chose qui s'est passé avec le premier long-métrage de Romain Quirot. Bien qu'il soit l'adaptation de son court-métrage Le Dernier voyage de l'énigmatique Paul W.R. (2015), le film se fait remarquer en festivals (Angoulême, Sitges, Taïwan) entre septembre 2020 et avril. Mais les premiers visuels n'ont été dévoilé au grand public seulement il y a quelques semaines, suscitant la curiosité des spectateurs n'ayant jamais entendu parler de ce film de science-fiction français tourné en français entre Paris et le Maroc.


L'attente ne fut pas très longue, puisqu'il s'agit d'une des nouveautés de cette première semaine d'exploitation française de 2021 et qu'il a tout d'un petit événement dans son genre. La première chose qui marque dans Le Dernier Voyage est qu'il réussit à créer un univers purement français. Comme Renaissance (Christian Volckman, 2006) ou Avril et le monde truqué (Ekinci, Desmares, 2015), Quirot développe son histoire ici et non pas à New York comme l'ont fait Enki Bilal avec Immortel (2004) ou Luc Besson avec Le cinquième élément (1997). Les rares scènes dans l'Espace sont liées à l'enjeu même du film, à savoir la Lune rouge qui menace d'entrer en collision avec la Terre. Tout le reste se situe en France avec une imagerie propre (la Tour Eiffel défoncée, un panneau d'autoroute pour Nice sous le sable, des voitures sans roue en lévitation proches de Peugeot ou Porsche), mais aussi des chansons françaises.


Si la musique d'Etienne Forget lorgne un peu trop sur l'Interstellar d'Hans Zimmer (2014) pour le climax, tout en restant convaincante sur le reste du film ; la soundtrack peut s'aider d'Eddy Mitchell pour une scène de baston accoudée au flipper et de Barbara pour une conclusion mélancolique. Un peu à l'image d'un film qui oscille sans cesse entre une mélancolie imprégnant ses personnages principaux et la violence de l'univers.


Le monde du Dernier Voyage ne fait pas de cadeau avec un mari parti chercher des livraisons, un père qui montre vite sa toxicité, un frère changeant avec un sourire génialement carnassier (Paul Hamy parfait bad guy de circonstance et pouvant faire des concours avec Willem Dafoe), des robots entre les Troopers de Star Wars (1977-) et les robots flics de Neill Blomkamp fous de la gâchette et un Atlas des temps modernes. Le héros porte le salut de l'Humanité sur ses épaules, fuyant un destin qu'il ne veut pas. Le dernier voyage ou l'acceptation d'une quête inévitable. Hugo Becker incarne un héros sincère et combatif à sa manière face à une jeune Lya Oussadit-Lessert convaincante en adolescente ayant encore de l'espoir dans un environnement qui n'en a plus tellement.


Le Dernier Voyage se présente donc comme une quête intimiste ne reposant pas que sur l'action ou le spectaculaire. Certes on est ébloui par la direction artistique irréprochable du film, mais le film repose sur des enjeux purement humains, loin de faire de ses personnages humains des super-héros surpuissants. Ici quand on meurt, on ne revient pas à la vie par un claquement de doigt.


Quirot a surement dû faire face à un budget bien loin des folies d'Europacorp, au vue de sa manière de filmer certains plans ou son habitude aux fondus au noir. Ainsi pour pas mal de plans se déroulant dans l'Espace, il va plutôt miser sur le cockpit avec difficultés hors-champ. Pour conclure une des scènes les plus spectaculaires du film, il va utiliser un fondu surement par souci d'économie (on se doute que ce détail de la scène aurait coûté cher). Mais au vue de ce qu'il réussit à montrer avec son budget, Quirot n'en est que plus méritant et on ne va pas chipoter longtemps sur ces aspects tenant de la pure débrouille.


D'autant qu'il est l'un des rares à avoir bien su passer après George Miller, loin de faire du pur recopiage de sa Fury Road (2015). Et là non plus pas besoin de surexplication pour comprendre un univers, il suffit parfois de quelques détails et le tour est joué. On ne pouvait également pas voir plus symbolique qu'une scène dans un cinéma la semaine de réouverture des salles. Quirot confirme que la science-fiction existe bel et bien en France en terme de qualité et s'impose comme un réalisateur à suivre avec attention.

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le 28 mai 2021

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Borat 8

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