Une bande d'amis,pour la plupart profs d'Histoire à l'université de Montréal,a l'habitude de passer ses week-ends dans des chalets voisins au bord d'un lac.Un samedi comme les autres,les femmes font du sport en ville pendant que les hommes préparent le repas,avant que tout le monde ne se retrouve sur le lieu de villégiature."Le déclin de l'Empire américain" est une des grandes claques des années 80.A priori,assister pendant plus d'une heure et demie aux conversations d'intellectuels canadiens peut paraître rébarbatif mais le réalisateur et scénariste Denys Arcand administre une magistrale leçon de mise en scène et d'écriture,qui commence dès les premiers plans avec ce majestueux travelling avant qui traverse un immense hall au bout duquel la caméra va cueillir Dominique et Diane,la seconde interviewant la première pour les besoins d'une émission de radio,ceci étant accompagné par de la musique classique,celle qui baignera harmonieusement tout le film,signée François Dompierre et qui consiste en des variations sur des thèmes de Haendel.Le montage alterne habilement les discussions des hommes au chalet et celles des femmes au club de sport,toutes étant entrecoupées de flashbacks illustrant les souvenirs évoqués qui éclairent parfaitement les relations réelles qu'entretiennent les uns et les autres.La réalisation d'Arcand saisit des personnages qui ne font que parler mais sont toujours en mouvement.Les filles passent de la piscine au stade,pour finir dans la salle de gym,exécutant constamment des exercices physiques tout en papotant,alors que les gars circulent sans arrêt dans les pièces de la maison tout en cuisinant,en dressant la table,en buvant des coups,sans cesser de deviser.Le cinéaste capte ces mouvements avec une belle fluidité,évitant adroitement le style heurté "caméra à l'épaule".Et il y a le fond,car il en faut pour que du cinéma de dialogues suscite l'intérêt.De ce côté aussi on est gâtés car le texte est brillantissime et les personnages passionnants.Au fil des conversations,les protagonistes évoquent tous les sujets avec une profondeur impressionnante et une franchise frontale.Ce qui va se poursuivre à la jonction des deux groupes.Ca continue à bouger,on se balade près du lac,on multiplie les apartés,un nouveau personnage apparait et disparait,une idylle se noue tandis qu'un couple explose.On parle de tout dans ce film,et sans détour.Il est question d'Histoire,de peinture,de maladie,de carrières professionnelles,de la décadence des sociétés occidentales,car le titre n'est pas qu'un gadget,loin s'en faut.Il est surtout question d'amitié,d'amour et plus encore de sexe,cette grande affaire qui détermine nos existences.Arcand passe au scanner les insolubles rapports entre hommes et femmes,l'impossible équilibre entre amour et sexualité,le fossé entre les aspirations de chacun et la réalité qui laisse éternellement le goût amer des remords et des regrets.Pourtant l'amour est là,sous toutes se formes,même s'il est volatile.Les personnages ne sont plus tout jeunes et doivent faire face à leurs contradictions.Il y a ces filles représentant un échantillonnage de la femme moderne.Dominique a réussi professionnellement mais elle est seule,sans homme,sans enfants,condamnée aux coups d'un soir.Diane a tenté l'aventure du couple et s'y est cassé les dents.Mettant sa carrière entre parenthèses,elle s'est mariée,a fait des enfants,et tout a foiré.Son mec n'était jamais là,la trompait,la séparation était inévitable.Elle galère financièrement,est devenue nymphomane et vit une liaison sado-maso torride avec un voyou à moitié débile qui la brutalise.Louise se prend pour la femme parfaite,la mère de famille et l'épouse idéale,ignorant que son mari a tiré tout ce qui bouge dans la région et qu'elle est cocue au dernier degré.La jeune Danielle,étudiante en Histoire,vit une relation compliquée avec Pierre,beaucoup plus âgé qu'elle,et finance ses études en travaillant dans un salon de massage où elle accomplit des manipulations très spéciales.Chez les mecs,c'est aussi le blues à tous les étages.Pierre a été marié autrefois et ne veut plus tomber dans le piège du couple traditionnel.Il est amoureux de Danielle mais il est conscient de leur différence d'âge et du fait qu'il ne peut ni ne veut lui offrir ce qu'elle désire,une vie stable à deux et des enfants.La séquence où il raconte comment il était traumatisé à l'époque de son mariage dès que le téléphone retentissait chez lui,craignant que ce ne soit une de ses maîtresses qui appelle,et la manière dont la sonnerie de l'appareil le terrifie encore quelques secondes à chaque fois est purement prodigieuse.L'infernal Rémy est un sex addict déchaîné,le mec capable de s'absenter du domicile conjugal pour aller voir une maîtresse et de faire une escale en route pour se taper une pute.Pourtant,il aime sincèrement sa femme mais l'appel du sexe est le plus fort.Claude est l'homosexuel du groupe.Il vit seul et adopte des comportements à risque,partant draguer dans les parcs en pleine nuit pour ramener chez lui des individus louches.Là,il pisse du sang et on se demande s'il n'a pas le SIDA.Seul Alain,le jeunot de la bande,est encore plein de fraîcheur et d'illusions,échappant au cynisme ambiant.Car Arcand décrit sans fard des vies marquées par l'hypocrisie,les mensonges et les non-dits qui n'empêchent nullement au final les échecs.De magnifiques scènes d'émotion viennent zébrer l'oeuvre,dues notamment à la réelle amitié qui unit les protagonistes et qu'on ressent fortement.Citons ces jolis moments où Pierre déclare aux autres que sa famille,c'est eux,ou quand Diane,qui est la seule à connaître l'état de santé de Claude,prend de ses nouvelles avec une tendresse palpable,ou encore quand Louise,détruite par certaines révélations,se réfugie dans les bras de Claude.Contrairement à ce qu'on pourrait croire,le film n'est pas plombant.C'est même souvent très drôle,les personnages ayant suffisamment de recul et d'humour pour se moquer d'eux-mêmes et des autres,l'ensemble étant agrémenté du savoureux accent québécois,et la crudité des dialogues et des images,typique du cinéma canadien de ce temps-là,est bien présente.Le constat socio-politique est d'une lucidité hallucinante,compte-tenu du fait qu'il date de 34 ans.Il est vrai qu'il concerne l'Amérique,qui a toujours quelques décennies d'avance sur l'Europe.Lors de son interview,Dominique déclare que dans l'Histoire,de tout temps,l'avènement du bonheur personnel des individus détruit la notion de bien commun et coïncide avec la décadence des sociétés,alors que les hommes relèvent quant à eux que l'arrivée des femmes au pouvoir est également symptomatique de cette décadence.Signes du déclin énumérés par Dominique:mépris des populations pour leurs institutions,baisse du taux de natalité,refus des hommes de servir dans l'Armée,dettes nationales incontrôlables,diminution du temps de travail,hypertrophie de fonctionnaires et dégénérescence des élites.Pétrifiant,non?C'était en 86 et aujourd'hui on est en plein dedans.Plus visionnaire,on ne fait pas.Notre universitaire précise cependant fort justement que les gens se complaisent dans ce système déclinant et que personne ne serait capable de vivre dans les mêmes conditions que les puritains de Nouvelle-Angleterre de 1650.Pas de retour en arrière donc,il faudra poursuivre la chute jusqu'au bout et boire le calice jusqu'à la lie.La fine fleur des comédiens québécois de l'époque,des talents extraordinaires,a été réunie.Il y a là Rémy Girard,Dominique Michel,Louise Portal,Pierre Curzi,Dorothée Berryman,Geneviève Rioux,Daniel Brière,Yves Jacques et Gabriel Arcand,le frère de Denys,certains portant le même prénom que leur personnage.La plupart d'entre eux reprendront ces rôles dans une suite qu'Arcand réalisera 17 ans plus tard.Intitulée "Les invasions barbares",elle est tout aussi géniale et poignante.Le premier assistant est Jacques Wilbrod Benoît,futur réalisateur qui fera "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer",d'après le roman de Dany Laferrière.Gabriel Arcand a collaboré au scénario,ainsi que Jean-Claude Lauzon,autre futur cinéaste qui signera "Léolo" ou "Un zoo la nuit".

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le 9 avr. 2020

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