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Pour son premier volet de la "Trilogie de la vie", Pier Paolo Pasolini choisit d'adapter dix des cent nouvelles composant le roman de Boccace, Le Décaméron. Il supprime les sept jeunes femmes et les trois jeunes hommes qui faisaient office de conteurs et de conteuses (ce qui évite de s'encombrer de personnages inutiles, d'autant plus qu'ils avaient le défaut d'être dénués de la moindre once de personnalité dans l'œuvre d'origine !) ainsi que le contexte de la peste touchant Florence en 1348. Parmi les histoires contées, le réalisateur-scénariste a sélectionné principalement celles qui constituent, selon mon humble avis, une bonne partie des meilleures, c'est-à-dire les plus surprenantes, les plus vivantes. L'ensemble reste assez fidèle au matériau littéraire de base. La seule exception est l'épisode du peintre (incarné par Pasolini lui-même !) qui joint les récits de la seconde moitié. Bien sûr, difficile de ne pas distinguer un parallèle entre cet artiste en train de créer une fresque dans une église et le cinéaste en train de réaliser son film.


Le gros point fort de l'ensemble est incontestablement la manière dont le metteur en scène reconstitue le Moyen-Âge, avec un œil documentaire (s'inspirant pas mal de Brueghel et de Giotto, notamment, en ce qui concerne le dernier, la saisissante séquence de l'au-delà !) qui apporte son lot de réalisme, mais avec aussi avec une belle justesse historique en représentant cette période comme étant colorée et lors de laquelle les gens, de toutes les classes sociales, s'offraient des moments joyeux. J'avoue que j'ai adoré le fait que le tout s'attarde sur une noce paysanne, alors que cette dernière est très peu liée à l'intrigue principale de l'histoire qui est narrée à ce moment-là. Sur le plan visuel, cette œuvre est un régal. La musique, compilée par un certain Ennio Morricone, est composée de véritables chants populaires napolitaines. Ce qui ne fait qu'ajouter à l'authenticité.


Le gros point faible, ce sont les acteurs et les actrices. Si un Ninetto Davoli ou même un Pier Paolo Pasolini arrivent à s'élever au-dessus du lot (ce qui n'est pas un exploit incroyable non plus !), le reste, avec surtout des non-professionnel(le)s (ce qui se voit et s'entend !), est pour le moins très médiocre. Ces amateurs et amatrices essayent de réciter du mieux qu'ils ou elles le peuvent leur texte, mais sans jamais donner un seul instant l'impression de savoir ce qu'ils ou elles sont en train de jouer et se contentant d'adopter la même expression du visage du début jusqu'à la fin (le plus souvent un sourire bête qui aurait besoin de passer de toute urgence chez le dentiste !). Même l'habitué du réalisateur, Franco Citti, fait un bien piètre agonisant avec son teint pimpant et tout propre. Être allongé sur un lit avec une couverture sur soi ne peut rendre que crédible le fait d'être allongé sur un lit avec une couverture sur soi. Or un moribond sur son lit de mort, ça transpire, ça devient pâle, ça faiblit, ça tousse, ça se salit, ça ressent des sensations d'étouffement, ça perd des capacités physiques basiques, ça a du mal à s'exprimer. Euh là, rien de tout ça.


Les nouvelles sont filmées avec une énergie qui ne laisse pas de place à l'ennui. Il est regrettable qu'il y ait quelques ellipses qui ne permettent pas de creuser autant qu'elles auraient pu l'être certaines histoires, à l'instar du faux muet qui se tape toutes les nonnes du couvent dans lequel il travaille. J'ai eu l'impression que le chanceux protagoniste se lasse au bout de cinq secondes alors qu'il aurait été plus efficace de le voir peu à peu s'épuiser à satisfaire tout le monde. Là, il dit juste qu'il est crevé, sans traces de fatigue physique transparaissant par le biais de l'acteur dans le rôle du personnage. De toute façon, ce non-professionnel est trop limité pour pouvoir le faire.


Bref, j'ai apprécié malgré tout parce que je trouve l'aspect reconstitution absolument formidable (putain, j'ai réellement kiffé grave cet aspect du film !), parce que les histoires contées sont parmi les meilleures du Décaméron de Boccace, donc naturellement intéressantes à suivre, mais bordel, le résultat global aurait été bien supérieur et enthousiasmant avec une distribution solide. Certes, comme le peintre-réalisateur, on peut trouver légitime la question de "Pourquoi réaliser une œuvre alors qu'il est si beau de la rêver ?", mais quitte à la réaliser quand même, autant la créer en étant entouré entièrement d'individus talentueux.



Plume231
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le 21 déc. 2022

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Plume231

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