Le Cuirassé de Potemkine ou un film colossal victime de son succès entre autre pédagogico-scolaire. Tant vanté qu'il paraît faible lorsqu'on le (re)découvre actuellement. Un grand film qui souffre aussi de sa comparaison avec la chanson de Jean Ferrat qui le dépasse, ô combien !, en épique et en lyrisme. De sorte que, si grand soit-il, nul n'est dupe de ce qu'il ne l'est que sur son derrière.


On cite souvent son style de propagande indiscutable, foules galvanisées, usage de la force et mauvaise foi patente de la part d'antagonistes nantis ou déshumanisés à l'appui.
Ce n'est pas là l'intérêt intemporel du film.
Car la représentation de la folie dans le mouvement des masses, sorte de Capra avant la lettre, constitue le réel clou du spectacle.


Un spectacle donc, à la fois épique, politique et presque expressionniste, divisé en 5 parties bien définies, de valeurs inégales.



"Marin ne tire pas sur un autre marin ! " ##



(7/10)



C'est mon frère qu'on assassine
Potemkine
Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin
Ils tournèrent leurs carabines
Potemkine



La première partie du film cherche à nous immerger dans la révolte grandissante puis dans son explosion soudaine, violente et sans merci.
C'est là que le ton de propagande est le plus sensible.
Les marins commencent par se plaindre de la nourriture avariée qu'on leur sert, viande véreuse en guise de preuve. Ils se heurtent à un médecin du bord non moins véreux, mais dans une acceptation plus métaphorique du mot, qui soutient larves écoeurantes à la vitre du monocle que la nourriture est dans un état convenable.
Le scénario est à la caricature involontaire et l'image est vomitive; d'aucuns railleront la simplicité d'une propagande dépassée, d'autres joueront le jeu et sentiront dans leurs propres entrailles monter le feu de la révolte.


En cela, Le Cuirassé de Potemkine est un Germinal des mers.
Quoi de mieux, comme le signale bien souvent Michel Serres, qu'un bateau pour reproduire un semblant de civilisation, un échantillon test de société ?
Une société capitaliste face à laquelle celle des matelots va s'insurger. Son triomphe ? Un appel à l'égalité entre les différents hommes du bord qui fera se retourner les canons des bourreaux contre leurs commanditaires.



Mano a Mano ##



(8/10)


Mais dans ce Germinal marin, Lantier ne survit pas. Son alter-ego, Vakoulintchouk, fauteur de révolte se retrouve finalement dans un face à face digne d'un western ou d'un film de gangster avec le Commandant du cuirassé qui l'abat froidement.
Très moderne, cette scène, beau final d'une scène de révolte aux accents parfois presque fantastiques, où un vieux prêtre digne d'un Murnau brandit sa croix face aux Justes, casse le sentiment d'une foule compacte sans identification possible. N'était un jeune marin troublé dans son sommeil par le second du commandant par pure méchanceté, rien ne permettait d'identification jusqu'à l'entrée en scène de Vakoulintchouk et surtout jusqu'à sa mortelle confrontation finale avec le commandant.
Une scène prenante qui n'est pas sans rappeler le duel Lawry et Monstre sociétal du Brazil de Terry Gilliam mais aussi et surtout le duel (inversé axiologiquement) Ness et tueur à la solde de Capone à la fin des Incorruptibles de De Palma, film apparemment très inspiré du chef-d'oeuvre d'Eisenstein.



Un Enterrement loin d'Ornans ##



(4/10)


Une troisième partie inflige au spectateurs l'affliction des gens d'Odessa à qui l'on présente, tel un saint béatifié et canonisé, le grand héros de la Révolution, Vakoulintchouk.
Nécessaire à la compréhension, nécessaire à l'escalade de la révolte poulaire, cette scène est bien trop longue et fait s'essouffler le film à l'anti-chambre de son meilleur passage.
Seul secours, la harangue exhortant à la révolte, vivante, poignante, forte, qui frappe quand on commence à s'endormir aux "obsèques" du fauteur de Grand Soir plus dangereux mort que vivant.



"La Logique d'un rêve ou d'un cauchemar" ##



(10/10)


Le meilleur passage du film, c'est cette quatrième partie !
Meilleur passage car d'anthologie, certes !
Mais pourquoi l'est-il au fond ?
Détaché du reste du film, s'il conserve un aspect politique, ce dernier est presque entièrement gommé, comme en pâle filigrane, derrière une scène de folie pure, digne d'un cauchemar.
Odessa n'est qu'un immense escalier, une butte de Montmartre gigantesque, comme sorti des tréfonds d'un mauvais songe. Sur cet escalier dantesque, le long de ses degrés, sur chacune de ses marches, une foule amassée, réprimée par un bataillon de bottes. Une foule en délire, comme les affectionnera plus tard Frank Capra, livrée à ses propres turpitudes: on s'y fait trouer de coups de feu, les cadavres roulent dans l'indifférence totale, les cul-de-jatte font un numéro de cirque et, bien-entendu, puisque cette scène est incontournable, une mère meurt, laissant son landau et son bébé dévaler la sinistre pente.
Tout est bon, rien est à jeter et tout sera imité dans Brazil, Les Incorruptibles, Notre Dame de Paris, La Vie est belle et sans doute bien d'autres !
Tout y est à la fois merveilleusement cauchemardesque et terriblement réaliste ! Figurez-vous maintenant la croisée de différents tunnels de métro un matin de grève où les trains ont été rares: le tumulte, la folie, la débauche de mouvements, l'indifférence d'une troupe animale déshumanisée. Nous sommes dans ce fabuleux passage du Cuirassé de Potemkine !
Comment ne pas faire de parallèle entre le corps d'un enfant roulant de degré en degré dans l'indifférence totale et l'usager âgé qui a chu dans l'escalier d'une gare parisienne (St-Quentin-en-Yvelines, pour ne pas la nommer), qui demande de l'aide et à qui l'un des passants répond agacé: "arrête de jouer la comédie !"
Pour ce seul passage démentiel, Le Cuirassé de Potemkine est l'un des plus indépassables chef-d'oeuvre du cinéma.



Bis repetita non placent ##



(4-5/10)


La cinquième et dernière partie pèche presqu' autant que la troisième. D'une longueur inutile, simple écho, faible réécriture et répétition des deux premières parties, il fait retomber le soufflé si haut envolé avec le passage des escaliers...



"M'en voudrez-vous beaucoup ?"



En somme, les Hommes, quid du Cuirassé d'Eisenstein ?
Une excellente séquence de cinéma noyée dans un récit plus inégal et par moments très long !
Une sorte de Full Metal Jackett qui aurait malgré tout quelques points forts en plus de son passage clef mais dispersés, éloignés du noyau dur par des passages inutilement lents et longs.
Un chef d'oeuvre au sens premier: un bout d'oeuvre dont la périphérie est son brouillon tantôt bon tantôt assez mauvais.
Mais un film à voir pour sa scène d'escalier intemporelle et d'un onirisme noir et quasi-expressionniste fou.

Frenhofer
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le 17 juil. 2018

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