Le Cuirassé Potemkine par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En cette année 1905, le peuple russe est à cran face aux inégalités sociales et à la répression permanente du régime tsariste. C'est pourquoi l'explosion ne tarde pas à venir et dès le neuf janvier à Saint-Pétersbourg, une foule immense et silencieuse arborant des images pieuses et munie de pétitions se dirige vers le Palais d'hiver d'Odessa afin d'être reçue par le tsar. A la stupeur de tous, celui-ci fait appel à l'armée qui réprime dans le sang cette première révolution. Afin de parer à toutes éventualités, une escadre de navire de l'armée tsariste croise au large des côtes d'Odessa. L'un de ces navires n'est autre que le cuirassé Potemkine à bord duquel les marins sans grade subissent les vexations permanentes de leurs supérieurs. Face aux bombances de ceux-ci, les matelots n'ont droit qu'aux restes de viande avariée. C'est alors que sur le navire la fièvre commence à monter et les marins se rebellent. C'est dans le port d'Odessa, le quatorze juin, que le navire arborant le pavillon rouge appareille. Le combat se déplace alors sur terre où une partie de l'équipage fraternise avec la population. Les combats sont d'une violence inouïe mais l'armée du tsar parvient une nouvelle fois à mater ce soulèvement dans le sang. Pourtant cet évènement représente pour le peuple un symbole d'espoir pour un monde meilleur dans lequel la misère lui sera épargnée. Le processus révolutionnaire est alors enclenché et le dénouement se produira quelques années plus tard en octobre 1917.


Depuis quelques années le régime imposé par le tsar et son entourage donnait quelques signes de faiblesse et une grande partie de la population russe jusqu'alors très soumise redressait la tête. Des rumeurs de révolte sourcillaient sans que le régime prenne conscience de la gravité de la situation. C'est ainsi que les évènements de janvier 1905 furent le prologue d'un long chemin de lutte pour un monde de justice sociale. En juin 1905, le cuirassé Potemkine est en manoeuvre non loin d'Odessa. La vie des marins y est des plus pénibles entre le travail harassant et les perpétuelles humiliations que leur font subir les gradés. L'équipage devant manger de la viande avariée se révolte. C'est alors que le second du navire prend la décision de punir les contestataires en les réunissant sur le pont avec, face à eux, des hommes armés. L'ensemble de l'équipage présageant qu'une exécution va avoir lieu, s'interpose et se rebelle. Certains officiers furent tués notamment le commandant et son second, d'autres eurent plus de chance en étant mis aux arrêts. Quant au médecin de bord qui certifiait que les morceaux de viande étaient propres à la consommation, il fut également exécuté. Après la mort de l'un des mutins, les opérations vont alors aller très vite. Les mutins dirigent le Potemkine vers le port d'Odessa et hissent le drapeau rouge. Une véritable insurrection s'empare de la ville, les habitants fraternisant avec les marins maîtres du bateau. Nicolas II qui avait déjà commis sa première erreur en janvier en utilisant les troupes pour réprimer férocement le peuple, va commettre sa deuxième erreur en utilisant la même tactique. La folie meurtrière des troupes du tsar laissera ce jour de juin derrière elle au moins mille morts et deux mille blessés. Le pouvoir n'est alors plus crédible pour une majorité de russes. Il survivra tout de même douze ans après cet avertissement car, en 1917 la Révolution va prendre la parole à ceux qui furent trop longtemps bâillonnés.


L'immense réalisateur Sergei Mikhaïlovich Eisenstein fut un cinéaste militant pour la cause du communisme susceptible de créer un monde où les opprimés retrouveraient leur dignité confisquée. En 1924, il réalise "La grève", film au titre évocateur sur lequel je ferai paraître un article. Avec "Le cuirassé Potemkine" il atteint une puissance qui n'a d'égale que sa ferveur idéologique. Ce film a été réalisé avec la collaboration de Grigori Aleksandrov pour célébrer le vingtième anniversaire de la Révolution de 1905. Il avait donc pour but principal de justifier les raisons de cet évènement et pour cela il fallait qu'il soit des plus convaincants . Ce fut chose faite. Le film est poignant car le cinéma muet amplifie l'expression des visages, leurs émotions, leurs peurs, leurs révoltes et leurs peines. Pour l'époque, cette réalisation nous montre des images d'une beauté insoupçonnée, servies par une mise en scène elle aussi révolutionnaire. Le summum est atteint par ce landau dévalant les immenses escaliers d'Odessa sous le feu nourri de l'armée. Tout est si descriptif que cela contribue à nous plonger merveilleusement bien dans ces terribles évènements. La musique sublime composée par Edmund Meisel est un élément essentiel de cette réalisation et contribue à faire passer en nous une poignante émotion tant elle colle aux images. Il ne devait pas être facile à cette époque de filmer avec une telle perfection des scènes de foules. Le rythme est lent, certes, mais l'on apprend beaucoup sur la détresse humaine dans la Russie au temps du tsar. On comprend alors mieux l'immense espoir qu'engendrait le communisme. Malheureusement celui-ci fut, plus tard, entaché de crimes inavouables qui dénaturèrent une noble cause. Vous citer le nom des acteurs ne sera qu'anecdotique mais pour leur exceptionnelle interprétation il faut rendre hommage notamment à Alexandre Antonov, Vladimir Barsky et Grigori Aleksandrov.


Voici donc une fresque inoubliable. Cette oeuvre qui dégage une puissance dramatique intense est l'un des plus grands monuments que le cinéma de cette époque ait pu nous offrir. C'est pourquoi "Le cuirassé Potemkine" fait partie de la vie d'un cinéphile, on le regarde à la loupe pour mieux en saisir les détails et on le déguste toujours avec autant d'émotion en compagnie de quelques autres chef-d'oeuvres.


Je vous présente LE FILM COMPLET :
http://www.youtube.com/watch?v=VK_1HQ7CZwE

Créée

le 25 févr. 2014

Modifiée

le 4 juin 2013

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