J'ai revu Le cercle des poètes disparus récemment, film qui m'avait beaucoup touché à sa sortie et pour lequel j'avais réalisé une fiche "pédagogique" en vue d'un ciné-débat avec un groupe de lycéens. C'est de cette fiche que sont extraites les réflexions suivantes, avec quelques ajouts et corrections.
Je propose ici 5 points de réflexion ou tout simplement d'attention (attention, cet avis révèle certains aspects du dénouement du film).


1°/ Les 4 piliers de Welton (Discipline, Excellence, Honneur, Tradition) transformés par certains élèves insoumis en "Travestis, Décadence, Horreur, Excréments". Cf. Le jugement de Keating sur l'introduction de Pritchard à la poésie (excréments) en contraste absolu avec celui du directeur qui le remplace à la fin (excellent). Cette inclusion laisse penser que le passage de Keating à Welton aura été inutile puisque finalement les institutions et leurs traditions semblent plus fortes que les personnes et l'unicité du message qu'elles portent en elles. La scène finale démontre toutefois qu'il n'en est pas ainsi et que ce que le professeur hétérodoxe a semé dans l'esprit des jeunes gens a déjà porté un fruit de liberté. Ainsi à la Tradition figée de Welton ne s'oppose pas une décadence, mais plutôt une révolution portant en elle les germes d'un renouveau pédagogique.


2°/ L'enseignement et la pédagogie de M. Keating (O Captain, my Captain!).
La scène du début devant les photos des anciens élèves est l'occasion pour le nouveau professeur de Lettres de lancer d'une manière vivante son nouveau mot d'ordre: Carpe diem (profite du jour présent ou cueille le jour présent). La question de notre finitude et de notre mort détermine notre attitude face à la vie. Ignorer ou nier notre finitude peut nous faire passer à côté de l’essentiel de notre vie. La conscience de la mort nous engage au contraire à vivre plus intensément et plus librement. Le "Carpe Diem" est une maxime du poète latin Horace disciple d’Épicure. Au Carpe diem d'Horace répond dans le film la citation de Thoreau: Sucer la moelle de la vie.
Penser par soi-même: voilà un autre pilier du programme pédagogique de Keating.
Il faut regarder les choses sous un autre angle, un autre point de vue (la scène dans la classe où Keating fait monter les élèves sur son bureau). Principe qui illustre aussi la relativité de nos perceptions et de nos jugements du point de vue philosophique en fonction justement du point (ou du lieu) à partir duquel on se place volontairement ou bien on est placé par l'institution et la tradition.
Chacun doit trouver sa propre voie en soi-même (cf. Lao Tseu).


3°/ La question de l'éducation:
Selon Keating: penser par soi-même, trouver sa voie, sucer la moelle de la vie etc.
Selon Welton et la tradition scolaire classique: acquérir des connaissances et des valeurs morales (les 4 piliers) en vue d'une réussite professionnelle et sociale.
Ces deux conceptions sont-elles forcément exclusives l'une de l'autre? Je ne le pense pas. Si le père de Neil, par exemple, avait été moins psycho-rigide, il aurait compris que son fils, brillant dans ses études, pouvait en même temps s'adonner à sa passion, celle du théâtre...


4°/ Le suicide de Neil pose une question essentielle: si faute ou responsabilité il y a, de quel côté la chercher? Neil lui-même (trop faible pour dire non à son père et s'affirmer face à lui), son père ou Keating? Welton répond: c'est la faute à Keating et au cercle des poètes disparus. En cas de drame, les institutions ont toujours tendance à se protéger elles-mêmes et à ne pas vouloir reconnaître leurs responsabilités. Ici deux autorités (l'école et le père) s'allient pour accuser et rejeter le professeur hétérodoxe.


5°/ Qu'est-ce que la liberté? Telle est la question fondamentale de ce film à la fois philosophique et existentielle. Selon la tradition de Welton un jeune n'a pas droit à la liberté. La liberté est remise à plus tard, au monde des adultes installés dans la société et qui travaillent. Mais, comme le suggère Keating au début devant la galerie des portraits, beaucoup d'adultes meurent sans avoir vraiment vécu... A force de toujours remette à demain l'exercice de la liberté (de pensée et de choix: ma vocation, mon orientation), le risque est grand de ne jamais la connaître.


En guise d'épilogue le "carpe diem biblique", cette citation du livre de l'Ecclésiaste, livre autant hétérodoxe au sein de la tradition biblique que Keating dans les murs de Welton!


Et je fais l'éloge de la joie, car il n'y a de bonheur pour l'homme que dans le manger, le boire et le plaisir qu'il prend; c'est cela qui accompagne son travail aux jours de la vie que Dieu lui donne sous le soleil (8,15).


Un passage du très beau roman Demian (Hermann Hesse) synthétise à mon sens l'enjeu existentiel d'un film tel que Le cercle des poètes disparus:


"Nous, les porteurs du signe, pouvions à bon droit passer aux yeux du monde pour étranges, insensés et dangereux. Nous étions des hommes éveillés ou en train de s'éveiller et nous aspirions à le devenir toujours plus complètement, tandis que les efforts des autres, leur recherche du bonheur, consistaient uniquement à adapter leurs opinions, leurs idéaux, leurs devoirs, leur vie et leur bonheur à ceux du troupeau. Chez eux aussi, il y avait effort, force et grandeur. Mais alors que, selon notre conception, nous, les porteurs du signe, nous incarnions la volonté de la nature dirigée vers l'avenir, le nouveau, l'individuel, eux s'étaient fixé comme but le maintien du passé. Pour eux, l'humanité - qu'ils aimaient comme nous l'aimions- représentait quelque chose d'achevé qui devait être conservé et protégé. Selon nous, l'humanité représentait un avenir lointain vers lequel nous étions en marche, dont l'image n'était connue de personne et les lois écrites nulle part".


Romans & Nouvelles, La Pochotèque, pages 588.589.

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le 21 nov. 2016

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