Expressionnisme: un courant qui ne tourne pas rond

Critique tirée du livre "1001 films à voir avant de mourir".

"Le cabinet du docteur Caligari" est la clé de voûte d'un courant cinématographique fantastique qui fleurit en Allemagne dans les années 1920 et est lié un peu artificiellement à l'expressionnisme. Alors que l'évolution du cinéma, pendant les deux premières décennies de son histoire, allait dans le sens de la "fenêtre sur le monde" chère aux frères Lumière, ce film marque le retour à la méthode de Georges Méliès avec ses effets stylisés, magiques, dramatiques qui exagèrent ou caricaturent la réalité. Ici, les fonctionnaires sont perchés sur des sièges ridiculement hauts, les ombres sont peintes sur les murs et les visages,les formes aux angles aigus prédominent dans tous les décors, les extérieurs sont ostensiblement peints, les toiles de fond irréalistes et le jeu des acteurs stylisé jusqu'à l'hystérie.

Les scénaristes CarlMayer et Hans Janowitz ont conçu un film qui se déroule dans son propre univers hors normes. Le réalisateur Robert Wiene et ses décorateurs enfoncent le clou, dans chaque scène et chaque intertitre. Fritz Lang, qui devait le réaliser, avança que le public aurait du mal à comprendre sans pédagogie le style radical de "Caligari". Il imita un dispositif où le héros, Francis, se remémore l'histoire du sinistre hypnotiseur et charlatan, le docteur Caligari, de Cesare, son esclave somnambule à l'allure de mort vivant, et d'une série de meurtres qui ont lieu dans la petite ville de Holstenwall, avant qu'on comprenne qu'il s'agit d'un aliéné qui, dans le style du "Magicien dOz", a élaboré un récit auquel il a intégré des personnages de son quotidien. Cela atténue le propos antiautoritaire du film puisque Caligari (dans l'histoire principale, un directeur d'asile qui a sombré dans la folie), se révèle un honnête homme qui ne cherche qu'à aider le héros. Mais l'asile que l'on voit dans le récit de Francis est exactement le même, irréel, que celui du flash-back. Ce qui rend le film tout entier, et pas seulement le récit central, quelque peu sujet à caution. De fait, en identifiant sa vision expressionniste à celle d'un fou, le film n'a peut être pas déplu aux conservateurs qui jugeaient l'art moderniste dans son ensemble comme l'expression de la folie.

Moins inventif que la plupart de ses collaborateurs, Wiene utilise étonnamment peu les techniques que lui offre le cinéma, à l'exception du flash-back dans le flash-back. Le film repose entièrement sur des procédés empruntés au théâtre: la caméra est fixées au centre de la scène tandis que les décors défilent et que les comédiens sont chargés de créer le mouvement. L'apport de Lang contribua à transformer le film en un produit bizarrement hybride. Film d'art aux yeux d'un public "cultivé" qui apprécie son caractère novateur, c'est également un film d'horreur. Avec son allure d'attraction foraine, son savant fou hypnotique et son monstre héroïnomane en pull moulant, "Le cabinet du docteur Caligari" est l'acte de baptême du genre horrifique: il inaugure une iconographie, des thèmes, des personnages et des expressions qui seront essentielles pour des films comme "Dracula" de Tod Browning et le "Frankenstein" de James Whale.

[Kim Newman]

http://www.senscritique.com/liste/Les_critiques_des_1001_films_a_voir_avant_de_mourir_avec_les/351166

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le 12 déc. 2013

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RoroRoro

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