Il y a bien une ou deux éternités que Lawrence d'Arabie m'attend bien sagement, prêt à être cueilli. Seulement, aborder une œuvre de presque quatre heures a de quoi refréner le plus vif des désirs. Il me fallait ce temps mort pour l'y remplir d'une grandeur quasi assurée. Un voyage de Paris à Belfort me l'offrit, ce temps, pour mon bon plaisir. Quatre heures de trajet, harassé par une journée de travail, un pauvre casse dalle enfilé à la hâte, j'en étais à un niveau de désespoir digne de me remplir les paupières avec le contenu d'une bétonnière d'autoroute. Mais le film était là, face à moi dans ce train, à me faire bouillir de son soleil blond aux yeux cristallins.


Arrivé au terminus, moi qui, au dehors, n'avait croisé que verdures et champs sous une douce bruine, je m'étonnais de ne pas avoir fondu sous l''enclume du désert. J'avais l'âme massacrée. Ce film est un massacre pour la chère humanité, un massacre subtil, terrible. Ça commence par un accident, ça se termine...se termine ? Qu'est ce qu'il y a à terminer ?



Vous me troublez comme des femmes



La trame de fond n'est qu'un prétexte, c'en est souvent un, on oublie simplement de le noter. Le concret nous empêche de nous disperser. Nous suivons T. E. Lawrence, un officier de la couronne nommé au Caire d'apparence gauche, indisciplinée dit-on de lui. Lawrence n'est pas un type ordinaire quand bien même il souhaiterait que ce soit le cas. Lawrence est de ces personnalités magnétiques, de ces porteurs de charmes chez qui la pitié est une passion, le destin, une aberration. On le somme d'une mission le Lawrence : aller à la rencontre du prince Feisal, suzerain de tribus du désert et principal antagoniste de l'envahisseur turc afin de connaître sa vision sur l'immensité arabique. Tout n'est qu'un vaste mensonge, une histoire politique, excusez le pléonasme. Sans en avoir demandé beaucoup au charismatique Lawrence, ce dernier va marcher sur l'eau et déplacer des montagnes pour tout leur offrir. La question est alors de deviner qui incarne ce leurre ? Bien malin celui qui pourrait le dire...



Oui, je sais qu'ils t'aiment. C'est une raison de plus pour les ménager. Leur donner à faire des choses qui peuvent être faites mais avec toi non, non, il faut qu'ils déplacent des montagnes, qu'ils marchent sur l'eau



Lawrence d'Arabie nous parle de l'Homme, de ce qu'il voudrait faire, de ce qu'il est, de ce qu'il fait. "Rien n'est écrit" nous matraque notre héros sans vantardise. L'Homme tue, l'Homme vole, pleure, se blesse, chante, a des convictions, mais à la fin, dès que le désir est obtenu, le voilà qu'il s'en retourne vers un désert intérieur, suivant les ridules sur le sable jusqu'à ce que le dernier grain ne soit versé. Lawrence d'Arabie c'est cette recherche perpétuelle de sens. S'improviser rebelle, lutter pour bouter les Turques hors des arides contrées, user d'intelligence et de grandeur d'âme, tout cela est à la portée de son bras. Se trouver, en revanche, savoir où se situe notre désir, nos vices, nos faiblesses et nos limites, Lawrence n'y parvient guère lui qui devient un peu plus l'étranger chez les siens, tantôt le héros tantôt la bête curieuse, le phénomène de foire, l'idole.



Il ment mieux que vous, général. Mais lui il est presque arabe.



Si un film ne devient pas mythique simplement parce qu'il a de la classe, Lawrence ne nous émerveille pas seulement par sa belle gueule, il nous touche de sa profonde et piètre humanité. C'est un homme parmi les hommes, un héros complexe, aussi tenace qu'il n'est faible. Un homme à l'image de son film.


Que dire de plus ? Que j'en aurais bien pris pour quatre heures de plus ? Que j'ai follement aimé malgré un thème musical saccagé par mon imprégnation de Mission Cléopâtre ? Que Peter O'Toole est un acteur formidable tout comme l'est Omar Sharif ? Non, il n'y a rien à dire de plus, rien que le désert.



Aucun Arabe n'aime le désert. Nous aimons l'eau et la verdure. Il n'y a rien dans le désert. Et personne n'a besoin de ce qui n'est rien...


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le 22 août 2016

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Fosca

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