Dolan quitte le domaine de l'expérimental pour laisse une place plus grande à l'émotion. A la vue de ce dernier film, les précédents (Les) amours imaginaires semblent davantage comme un essai -attention le mot n'a pas le sens de brouillon- ou disons plutôt comme un traité : une sorte de film "théorique", même si bien entendu ce dernier allait déjà bien au-delà d'une simple œuvre purement technique.
Malgré la qualité de ce second long-métrage, il aurait été dangereux de pousser plus loin certains principes esthétiques, étant donné que déjà presque toutes les limites avaient été atteintes. On pouvait le craindre, le redouter, et pourtant...


La lenteur de l'action et les ralentis ne disparaissent pas, loin de là, il suffit de voir la durée du film et de regarder la première scène pour s'en rendre compte. Mais cela semble plus fluide, naturel, moins calculé en quelque sorte. Et surtout, tout cela vient au service d'un propos, non pas que Les amours imaginaires n'en avait pas, mais l'ensemble semblait dissocié. Là, c'est bien un tout, la réalisation est plus nettement moulée dans l'histoire (et vice versa).

Le sujet aidant sûrement, l'intensité dramatique va prendre une ampleur encore jamais atteinte chez le jeune homme. On se sent davantage concerné, moins "protégé" par la contemplation : le thème, les mots, tout nous atteint sans intermédiaire. Déjà très présent dans J'ai tué ma mère, cet aspect violent n'a l'air de rien et pourtant, il nous heurte sans même qu'on s'en rende compte.


Le jeune réalisateur nous fait une fois encore la démonstration de son ouverture d'esprit, accumulant les références et jonglant entre les genres avec une facilité déconcertante. Rien de nouveau donc, on commencerait presque (j'ai bien dit presque !) à ne plus s'en étonner. Mais ici, les références semblent personnalisées, possédées si l'on peux dire. Car même si l'on sait à qui il a voulu faire honneur, rien n'est plus signé que Dolan.

Beaucoup ont vu -à raison- dans Les amours imaginaires un hommage à Wong Kar Wai. Laurence Anyways a des côtés Almodovar -attention je ne parle pas seulement du sujet, ce serait bien sot de faire un rapprochement si hâtif !-, ce qui n'est pas pour nous déplaire. [en tout cas à titre personnel ! S'il continue ainsi, il visitera tous mes réalisateurs favoris ! Enjoy !]

D'ailleurs, apercevoir Xavier à l'écran l'espace d'une demi-seconde est un joli clin d'oeil. Comme un sourire à tous ceux à qui il manquait, tous ceux qui avaient pris l'habitude de toujours le voir dans le duo/trio de tête et avaient été touchés par son charme et sa simplicité.

Quoi que, ici, le duo principal ne laisse guère de place aux regrets, tant ils semblent coller à leur rôle. Aucun ne fait de l'ombre à l'autre, ils sont tous deux irréprochables. Melvil Poupaud est merveilleux, et si l'on peut douter dans les premiers instants de sa crédibilité, il saura très vite nous convaincre. En homme, en femme, on l'aime sans retenue, on partage avec lui son désespoir et on blâme sans cesse l'incompréhension dont il est victime. Suzanne Clément est très juste dans sa quête d'acceptation, et elle est surtout totalement époustouflante lors de ses crises de nerfs.

Laurence Anyways est, avant même d'évoquer la question du genre, une histoire d'amour. Celle de deux êtres qui s'aiment avec force alors même que ça les détruit. Rester ensemble les fait souffrir -elle parce qu'il devient femme, lui parce qu'il souhaite être accepté en tant que telle- mais ils ne peuvent vivre pleinement lorsqu'ils sont loin l'un de l'autre. Ils reviennent inexorablement à leur âme-sœur, tels deux aimants qu'on ne peut dissocier.


Malgré une entrée rapide dans le vif du sujet, il n'est pas forcément évident de "rentrer dans" Laurence Anyways. Cela peut demander un léger temps d'adaptation, déjà en raison du format (même si on s'y fait, c'est assez déstabilisant...), éventuellement à cause du rythme...Et si on est honnête, il y a quelques longueurs. Mais si on les remarque sur le moment, notre souvenir les chasse pour ne garder qu'une impression d'ensemble très positive.
Notons que ces défauts que J'ai tué ma mère ne possédait pas existaient déjà dans Les amours imaginaires.
Il n'en reste pas moins que ce troisième film présente une maturité supérieure à ses prédécesseurs. Outre une augmentation du niveau de gravité, l'intrigue s’étoffe et le tout dégage quelque chose de plus adulte.

Je crois que maintenant, quoi qu'il fasse, Xavier Dolan m’impressionnera toujours : que j'aime le film ou non, je serai toujours en admiration devant son travail.
La meilleure façon de vous expliquer serait de vous proposer de regarder simplement le générique, et compter le nombre de fois où son nom apparaît à l'écran (et encore, dans ce film là il n'apparaît pas dans les acteurs principaux). Ce garçon est un génie et on oublie volontiers ses maladresses pour ne garder en soi que l'admiration et l'espoir de le voir progresser encore et encore. Il est bien parti !


Nb : Je voulais mettre "Dolan Anyways", presque avant même d'avoir vu le film (en supposant qu'il me plaise bien entendu). Mais je n'ai pas été assez rapide, c'est ça plus de deux semaines à publier ses critiques, et je viens de m'apercevoir avec grand désespoir que le titre est déjà pris...Et pour ne pas passer pour celle qui vole le titre de quelqu'un d'autre (ce qui ne serait pas exacte mais enfin ne chipotons pas), on va dire que Xavier fera l'affaire ! L'idée reste de la même. Anyways !

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le 27 juil. 2012

Modifiée

le 6 août 2012

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emmanazoe

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