Deux années seulement après l'immense Elephant (2003), Last Days vient clore ce que certains ont voulu définir (à tort ou à raison, peu importe) comme étant une trilogie de la mort, entamée avec Gerry (2002). Qu'on le veuille ou non, les trois films ont bien en commun quelque chose, mais ce quelque chose n'est semble t-il pas aussi évident que cela, et surtout pas aussi rationnel. Peut-être s'agirait-il plutôt, et ce n'est là qu'une proposition, d'une trilogie sur l'errance.
Ce qu'il y a d'absolument magnifique dans ces trois films de Gus Van Sant, c'est cette façon de faire tenir les personnages dans un espace, sur le fil, toujours au bord de quelque chose. Tous ces personnages errent dans cet espace sans en connaitre les limites ni la signification. Où sont réellement les deux hommes nommés Gerry : dans le désert ? en Enfer ? au paradis ? Que cherche Blake en déambulant de pièce en pièce dans cette froide maison en ruine ? Enfin, quel est cet endroit de Colombine où se côtoient flirt, moquerie, enseignement et massacre. Ils avancent tous dans un monde qui parfois les dépasse, les blesse, les pousse à se recroqueviller et à chercher un ailleurs. L'errance n'est donc pas seulement physique. A chaque fois, il s'agit de faire un trou quelque part pour se faufiler.
Dans le dernier acte de cette trilogie, Last Days, les caméras sont partout. Dans la maison, et l'on aurait pu reprocher à Gus Van Sant de ne pas plus laisser son personnage hors champ, pour le perdre de temps en temps, et ainsi créer la dimension fantasmatique du spectateur sur l'errance de celui qu'il voit.
Blake est un véritable fantôme qui hante le lieu par sa musique et ses déplacements. Chaque scène fait écho à une autre, comme par exemple la voix d'un acteur que l'on voyait chanter en gros plan, et qui s'entend désormais de plus loin ; et l'on devine ainsi qu'il s'agit de la même scène, mais non filmée de la même pièce, là où Elephant s'attachait à reproduire la même scène vue d'un angle différent. Ce jeu de correspondances provoque ici le sentiment d'être présent dans l'espace, sans pour autant pouvoir en surseoir l'issue inéluctable.
Blake est donc ce personnage autiste qui bute sans savoir pourquoi sur ce qui l'empêche d'être pleinement au monde. Avec la musique, il creuse un passage. Il chante, hurle, marmonne, fuit. Et nous en saurons pas plus sur l'homme. De même que l'évènement final ne sera pas filmé. Récit, mais pas de représentation. Issue, mais pas d'explication.
Tout comme les deux précédents films du réalisateur, Last Days témoigne d'une liberté de création absolue. Et même si ce dernier n'atteint pas la limpidité d'Elephant, il en conserve l'immense inspiration de mise en scène et témoigne lui aussi d'une proposition esthétique qui n'a depuis jamais trouvé d'égal dans le cinéma contemporain.
A.A