Quand elle le rencontre à cette soirée où elle ne voulait pas venir, traînée par sa sœur jumelle qui lui a dit qu’elle allait y rencontrer l’homme de sa vie, et c’était sans doute là, chez elle, avant une forme de boutade, d’argument pour l’appâter, une sorte d’intuition, une évidence pourquoi pas, d’abord elle est surprise, elle rit, elle se rappelle de lui ado, l’ado un peu bouboule, mais d’emblée elle a l’air séduite. Et puis Grégoire Lamoureux sait dire les bons mots, ceux qui complimentent, qui font rire, qui charment, et puis il a le regard qui va avec, alors Blanche, pas tout à fait remise d’une liaison malheureuse, craque doucement mais sûrement, et tout autour d’eux Valérie Donzelli joue avec les éclats d’une lumière rougeoyante qui les enveloppe, les absorbe tout à coup.

C’est du rouge comme la passion, évidemment. Du rouge comme le danger aussi, et parce que le danger est là, il patiente dans l’ombre. Car Lamoureux, c’est le genre salopard toxique. Car le mec attentionné et séduisant au début, c’est un mari jaloux en réalité, manipulateur et vampirique. Donzelli, en s’emparant du roman d’Éric Reinhardt, décrypte à sa façon, vibrante et bordélique (parfois on chante, parfois on danse sur Barbara, parfois on dirait un giallo, parfois on dirait un film-dossier dans ce pur esprit qu’est "le film social à la française"), toutes les étapes, classiques osera-t-on, menant de la belle idylle conjugale au cauchemar domestique intégral : l’éloignement et les mensonges, la surveillance et les vexations, jusqu’à perdre pied, la culpabilité et l’emprise, jusqu’au vertige.

Il y a, dans L’amour et les forêts, un peu de L’enfer, et un peu de Mon roi, et un peu de Jusqu'à la garde. Bien sûr c’est complètement con de ramener, de réduire le film à d’autres films, mais on y pense pas mal à ces autres (et surtout meilleurs) films. Et puis on pense à Ma grande, le terrible et magnifique roman de Claire Castillon sorti quatre ans après celui de Reinhardt, qui inversait les rôles en racontant ça aussi, l’ascendance terrible, le règne absolu de l’autre. Est-ce pour ça alors ? Pour ça qu’on reste sur sa faim, avec d’autres images et d’autres visages en tête ? Ou peut-être est-ce à cause du côté un peu scolaire de l’ensemble, et malgré la volonté de Donzelli d’apporter, ici et là, un peu de cette singularité qu’on lui connaît. Finalement, on se dit que si le film en entier avait été à l’image de la scène, limpide, libre, envoûtante, débarrassée de tout artifice, de tout mot inutile et de toute maladresse, de cette rencontre avec un amant de passage (Bertrand Belin, doux et magnétique), sans doute nous aurait-il conquis davantage. Et touché en plein cœur, comme L’enfer. Et laissé pantelant, comme Ma grande.

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mymp
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le 30 mai 2023

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