Tu es vraiment spéciale ! Tu es splendide ! Je ne veux que ton bonheur ! Pourquoi as-tu changé ça dans ton apparence ? Tu es tout pour moi ! Tu es en train de me critiquer auprès de tes proches, c'est ça ! Je suis désolé d'être comme ça ! Tu ne vas pas me quitter ? Pourquoi as-tu besoin de voir les autres ? Tu t'ennuies avec moi ? Je ne suis pas assez bien pour toi, c'est ça ? Tu sais qu'avec mon travail, j'ai les moyens de te faire vivre toi et les enfants ! Pourquoi tu ne m'as pas répondu au téléphone ? Tu étais où ?


Le pervers narcissique (il y a aussi des perversES narcissiques évidemment !), d'une catégorie sinistre de personnes sans la moindre empathie, est un être qui fait sentir, d'abord, à sa proie qu'elle est unique, qu'elle mérite toute l'admiration du monde, puis petit à petit, il y a une alternance entre critiques et valorisations, de véritables montagnes russes émotionnelles. Il use de sa "chose" d'une façon à l'anéantir psychologiquement, à l'isoler de tout ce qui pourrait lui servir de bouée de sauvetage, à la rendre affectivement et matériellement dépendante de lui. Et s'il y a des enfants dans l'équation, c'est encore mieux pour renforcer son emprise.


C'est justement ce qui arrive à notre protagoniste, femme introvertie, timide, peu sûre d'elle, mal dans sa peau. Caractéristiques que le pervers narcissique perçoit d'emblée et qu'il réussit à utiliser pour mieux manipuler. Cette nature est bien mise en relief par une sœur jumelle qui est tout le contraire, c'est-à-dire extravertie, exubérante, sûre d'elle, bien dans sa peau (oui, Virginie Efira joue deux rôles dans le long-métrage !), comprenant tout de suite que quelque chose cloche chez l'autre coco. Et à la question, pourquoi on voit très peu cette jumelle dans le long-métrage ? Vous croyez sérieusement qu'un pervers narcissique prendrait le risque de laisser cette grosse bouée de sauvetage à disposition de sa "chose".


Ne pas voir souvent les personnages secondaires dans un film donne lieu généralement à un reproche légitime, sauf quand il s'agit de souligner combien un protagoniste est seul. Dans le cas précis du film, par la peur de son bourreau et par la honte d'être dans cette situation. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas le droit à une belle galerie de seconds rôles, ayant pour la plupart la possibilité de se distinguer ; je pense notamment à Dominique Reymond, en avocate bienveillante, à Romane Bohringer, en collègue qui ne remarque rien - oui, on peut côtoyer quelqu'un pendant plusieurs années sans discerner la moindre détresse chez l'autre, ou encore Virginie Ledoyen, apparition tardive et assez brève, tout en étant, l'air de rien, déterminante. Il y a aussi Bertrand Belin, mais je vais y revenir plus tard.


En serrant fréquemment au maximum sa caméra sur ses deux caractères principaux, Valérie Donzelli montre qu'elle a pleinement saisi que l'espace est essentiel non seulement pour donner la sensation d'isolement, pour pénétrer encore plus profond dans une intimité (parfois en ayant recours au 16 mm !), mais aussi pour augmenter la tension. Cette dernière ne fait qu'aller crescendo, transformant l'ensemble en un véritable thriller psychologique.


Je n'ai pas lu le roman original d'Eric Reinhardt. En conséquence, je ne peux rien dire en ce qui concerne l'adaptation. Je me contente juste de remarquer qu'au scénario, Donzelli et l'excellente Audrey Diwan parviennent savamment à tout préparer, en n'occultant aucun des mécanismes de l'emprise, en n'occultant pas quelques rares moments heureux (au sein du foyer conjugal au début, parce que tout y paraît merveilleux, puis exclusivement à l'extérieur de celui-ci quand le merveilleux paraître s'effrite, dont une scène détonant agréablement avec le reste, comme une bulle d'oxygène nécessaire, dans une atmosphère éprouvante, non dénuée d'étrangeté ainsi que de poésie, se déroulant dans une maison en pleine forêt, avec un mémorable Bertrand Belin, doux et bizarre ; autrement, il est juste dommage qu'on ne voie pas plus de séquences lors desquelles la malheureuse s'épanouit dans son métier de prof... ouais, ça peut encore exister !)... oui, donc, quelques rares moments heureux pour bien introduire (notamment par la construction en longs flashbacks, entrecoupés par des interventions dans le présent de l'héroïne, consciente de ce qui lui est arrivé et aidée par une avocate !), avec une force anxiogène, le point de basculement ; celui faisant comprendre à la victime qu'elle doit absolument agir maintenant.


Melvil Poupaud (quand il est bien dirigé, comme ici !) confirme qu'il est l'interprète idéal pour donner corps à des personnalités toxiques. Virginie Efira, avec son charisme et son talent de grosse malade, incarne avec subtilité et avec justesse toutes les émotions animant son personnage, dont la vulnérabilité et la volonté de s'en sortir provoquent instantanément l'attachement du spectateur. Au passage, l'actrice a une capacité bluffante à bien choisir ses projets et à se renouveler constamment.


Pour résumer, en plus d'être une œuvre réaliste et puissante, ne cherchant jamais à forcer le trait (il n'y en a nullement besoin !), L'Amour et les forêts est un beau portrait de femme.

Plume231
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films avec Virginie Efira et Les meilleurs films de 2023

Créée

le 25 mai 2023

Critique lue 4.2K fois

70 j'aime

8 commentaires

Plume231

Écrit par

Critique lue 4.2K fois

70
8

D'autres avis sur L’Amour et les forêts

L’Amour et les forêts
Sergent_Pepper
7

Un homme hait une femme

C’est une triste loi : un film qui vous montre une rencontre suivie de la construction d’un couple dans son premier quart d’heure a très peu de chance de vous raconter une belle histoire d’amour...

le 25 mai 2023

52 j'aime

8

L’Amour et les forêts
Cinephile-doux
7

Perte de contrôle

Du formidable roman d'Eric Reinhardt , les coadaptatrices Valérie Donzelli et Audrey Diwan (beau duo) n'ont pas tout pris mais conservé une grande partie de sa trame, tout en gardant son esprit. Le...

le 24 mai 2023

13 j'aime

L’Amour et les forêts
Cineratu
1

N'est pas Hitchcock qui veut

L'amour et les forêts nous propose de suivre le parcours d'une femme qui va sombrer dans une relation toxique sur plusieurs années, enfermées avec un homme qui se présente comme le parfait compagnon,...

le 12 juin 2023

12 j'aime

5

Du même critique

Babylon
Plume231
8

Chantons sous la pisse !

L'histoire du septième art est ponctuée de faits étranges, à l'instar de la production de ce film. Comment un studio, des producteurs ont pu se dire qu'aujourd'hui une telle œuvre ambitieuse avait la...

le 18 janv. 2023

285 j'aime

19

Oppenheimer
Plume231
3

Un melon de la taille d'un champignon !

Christopher Nolan est un putain d'excellent technicien (sachant admirablement s'entourer à ce niveau-là !). Il arrive à faire des images à tomber à la renverse, aussi bien par leur réalisme que par...

le 19 juil. 2023

208 j'aime

28

The Batman
Plume231
4

Détective Batman !

[AVERTISSEMENT : cette critique a été rédigée par un vieux con difficile de 35 piges qui n'a pas dû visionner un film de super-héros depuis le Paléolithique.]Le meilleur moyen de faire du neuf, c'est...

le 18 juil. 2022

137 j'aime

31