White Squall (1996) s’empare, comme souvent dans le cinéma de Ridley Scott, d’un personnage meneur d’hommes, vénérés par eux en raison de son expérience, de sa puissance et de son aura quasi divine qui tend à faire de lui un substitut humain du Créateur. Sheldon est un « skipper », soit un capitaine : il gouverne l’Albatros, vaisseau qui forme de jeunes matelots et brise les adolescents pour en faire des hommes. L’exaltation patriotique occupe une place de choix dans ce long métrage impersonnel et plutôt mineur dans l’immense filmographie du cinéaste : nous retiendrons le nihilisme avec lequel il met en scène la tempête et l’engloutissement du navire, perçus par le capitaine comme un châtiment venu brûler les ailes d’un Albatros s’élevant trop haut, et par la cour de justice comme une irresponsabilité de sa part.


Scott aime confronter les récits que l’on se raconte face aux situations que l’on vit : ainsi, Exodus: Gods and Kings (2014) raccordait les plaies d’Égypte à leur origine scientifique et changeait l’inspiration divine de Moïse en une folie. Apparaît déjà l’idée selon laquelle on tire notre force de notre plus grande faiblesse, théorie qui trouvera dans The Counselor (2013) son expression la plus désabusée et nihiliste. C’est dans la recherche d’un dépassement de soi que l’homme éprouve le mieux sa condition humaine, en témoigne le soin systématique avec lequel Scott filme ses héros pieds nus : Paul Getty père marchant jusqu’au tableau La Vierge et l’Enfant dans All the money of the world (2017), le robot David dans Alien: Covenant (2017), l’avocat de The Counselor, l’agent Ferris dans Body of Lies (2008), Christophe Colomb sur sa caravelle dans 1492: Conquest of Paradise (1992), les marins dans le cas présent. Les pieds nus paraissent symboliser l’enracinement de l’individu dans un sol, sa communion avec le monde ainsi que la tension fondamentale entre sa mortalité congénitale et les idéaux que forme son esprit.


La démarche narrative et esthétique n’en demeure pas moins lourdingue, notamment lors de sa clausule pompeuse et la sympathie mielleuse avec laquelle il regarde ses jeunes acteurs, victime des idéaux qui vacillent quelque peu lors du naufrage du bateau.

Fêtons_le_cinéma
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le 25 avr. 2021

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