Le 20e film de Robert Guédiguian est un petit bijou de nostalgie et de naïveté douce, mais parfois plus déchirante qu’un pur cynisme frontal. La Villa est aussi une sorte de théâtre familial où chaque personnage est à lui seul tout un art. On est presque chez Tchekhov, mais à Marseille, terre de prédilection du réalisateur.


Ils sont trois, deux frères, une sœur. Leur père vient d’être victime d’une attaque qui ne lui a pas pris la vie, mais la mobilité. Ils doivent donc se retrouver tous dans la maison familiale. Pour l’une d’entre eux, c’est un retour douloureux, presque impossible, car c’est une petite fille qui est morte, noyée. Leur villa est une sorte de petit bijou en plein soleil du sud, accent très Guédiguian en prime. Elle trône telle une reine au dessus d’une calanque presque abandonnée de ses touristes, de ses habitants. Les personnages sont au centre d’un petit théâtre des mœurs donc où chacun tente de sortir la tête de l’eau. On se croirait presque dans la pièce Les Trois sœurs écrite par Anton Tchekhov et récemment mise en scène et modernisée au théâtre. La parole fuse de partout, chacun ayant son mot à dire sur ce monde qui lui échappe ou dont il veut à tout prix faire partie. Et il y a bien sûr, au centre, l’authenticité. Tous sont comme happés par cette villa alors même que le passage filmé d’un train qui fuit le village semble vouloir signifier une échappée. Les souffrances sont tues avant d’être dites. Les personnages sont des sortes d’archétypes qui récitent du Claudel, attrapent des poulpes avec les jambes, fauchent les herbes folles sur les sentiers. Il y a donc aussi pour cette famille la volonté de défricher le passé, de s’en affranchir.


Une petite vie tranquille


Pourtant, le passé est aussi le souffle qui permet de se recentrer, de se retrouver, de se découvrir aussi peut-être. Il y a alors une lenteur presque pesante dans La Villa, une forme de naïveté assumée aussi, comme lorsque la famille découvre dans les broussailles des enfants migrants qui semblent comme des perles miraculées, sans accrocs. C’est qu’ici la mort n’est que suggérée, repoussée, presque sublimée. Il y a aussi une douceur infinie, comme la relation qui lie un médecin (encore Tchekhov !) à ses parents amoureux et bien décidés à rester ensemble à tout prix. Il y a aussi de la farce ou plutôt des facéties à travers notamment le personnage d’amoureux transi et souriant joué par le toujours aussi juste Robinson Stévenin. Finalement, Guédiguian filme la vie, quelque chose qui jaillit d’images rafraîchissantes d’un de ses premiers films, qui dit que rien n’a changé et que pourtant tout bouge dans les variations sur la vie, l’amour, la mort et la famille que propose Guédiguian dans son cinéma qui s’est parfois osé différent comme avec Une histoire de fou en 2014. Il y a ici des habitués qui côtoient des « faux » petits nouveaux, la volonté de dire avec douceur, et en prenant son temps, ce que la vie fait aux rêves, aux désirs, aux liens qui unissent les hommes. Face à leur destin, car ils ne choisissent pas de se résigner même quand ils sont un peu âgés, les personnages de Guédiguian s’affirment. Et leurs voix deviennent alors les échos du présent, vécu pleinement ici, du passé et surtout du futur qui s’ouvre à eux.

eloch
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le 5 déc. 2017

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