En 2012, Xavier Dolan réussissait le pari de raconter, en trois heures, la douloureuse mais nécessaire transformation d'un homme en femme dans "Laurence anyways", aujourd'hui, Abdelatif Kechiche parvient, à son tour, à nous dire ce que c'est qu'"être femme", en 2 heures et 59 minutes. Pour cela il a choisi une toute jeune et éclatante actrice (notamment aperçue dans "La rafle"), Adèle Exarchopoulos. Rien n'est superflu dans ce film, pas même les scènes, nombreuses, où l'on voit furtivement la jeune femme dormir. De ses 17 ans, à ses débuts d’institutrice de CP, nous suivront Adèle, son parcours, ses larmes, ses jouissances, ses repas, ses désirs. Et, surtout, nous connaîtront, avec elle, cette incroyable phénomène qu'est l'amour fou: tour à tour perdus, enthousiastes, amoureux, dévastés, entraînés et brusquement ramenés à la réalité avec elle.


Qu'elle s'emballe dans un regard, pense ne plus pouvoir faire semblant ou souffre que sa petite amie sous-entende qu'elle n'a que peu d'ambition alors qu'elle est "heureuse comme ça avec [elle]", nous sommes avec Adèle, sans ménagement, dans une expérience physique et psychique intense qui nous donne l'impression de rencontrer quelqu'un, d'en connaître les intimes convictions et secrets et d'être un peu elle par moment. Il y a deux chapitres à cette vie, car il y a l'avant et l'après Emma (Léa Seydoux). Et puis Adèle c'est celle qui, comme la Marianne de Marivaux est "femme", fermement, simplement, et va se livrer, énormément, sans fard, avant de nous quitter pour continuer quand elle a compris qu'il faudra vivre seule, en aimant toujours.


Ce n'est pas tant cette histoire qui fascine mais la manière dont Kechiche l'exalte, la rend puissante, entêtante, enivrante et surtout la manière dont il met sans cesse, comme dans ses autres films, les êtres en confrontation avec leurs milieux, leurs limites, leurs lâchetés. Adèle est entière, complète, détestable autant qu'adorable. Elle a cette force de celle qui grandit et cette faiblesse de celle qui est broyée par un amour trop fort, trop destructeur. N'oublions surtout pas de mentionner les deux actrices, le casting au complet, pour comprendre que Kechiche est un être de la confrontation, de la vérité. Les scènes à deux sont des moments virtuoses où tout se passe autant dans les mots que par les corps et dans les yeux.


C'est un film qui épouse la vie, de manière viscérale, nécessaire, brutale. Q'une scène de sexe, puissante, dangereuse, éternelle, entre les deux femmes dure presque 10 minutes aurait pu être choquant mais ça n'est que l'illustration de l'histoire de ces deux là, du manque qui se ressentira après. Et de ce que Kechiche fait le mieux: faire durer pour mieux éprouver, malmener pour mieux révéler et donner à voir la plénitude, ce moment où, après l'amour acharné, les deux corps se reposent côte à côte, repus l'un de l'autre, mais encore tout prêt à se dévorer. Pour, l'instant d'après, retourner à la vie, parfois vibrante, parfois violente, parfois déchirante mais toujours en plein apprentissage. Dans ce rôle de femme, d'être en devenir, Adèle est merveilleuse, avec ses petites pommettes rougies, sa gouaille et ses larmes éclatantes, bouleversantes. Accompagnée de Léa Seydoux, elles forment un duo accompli et admirablement dirigé.
Pour tenter, soudain, d'aller de la souffrance vers la lumière.

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le 10 oct. 2013

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eloch

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