Palme d'or du festival de Cannes 2013, La vie d'Adèle est un film qui aura fait couler beaucoup d'encre et susciter bon nombre de polémiques lors de sa sortie. Palme d'or jugée trop politique en plein cœur des débordements hystériques autour du mariage pour tous, scènes de sexe explicites valant au film une interdiction complète dans certains états américains et surtout nombreuses tensions entre les techniciens, les actrices et le réalisateur Abdellatif Kechiche jugé souvent comme monstrueusement tyrannique, exigeant et même violent envers son équipe auront valu au film une réputation sulfureuse. Lassé, blessé le réalisateur Abdellatif Kechiche aurait même envisagé de ne pas sortir son film estimant qu'il avait été trop sali par les critiques à l'égard de son travail. Il serait pourtant bien dommage de trop se focaliser sur ses polémiques et de passer ainsi totalement à coté d'une des plus belles histoires d'amour vu sur un écran de cinéma ses dernières années.


La vie d'Adèle raconte l'histoire d'une jeune fille de 15 ans qui a du mal à s'épanouir lors de ses premiers flirt et expériences sexuelles avec des garçons. Elle va alors rencontrer une étrange jeune fille aux cheveux bleus avec laquelle elle va découvrir, l'amour, la passion et le plaisir charnel lui permettant enfin de s'épanouir tout en devant s'affirmer aux regards des autres.


Autant le dire tout de suite les films d'auteur de la trempe de La vie d'Adèle ce n'est généralement pas trop ma came. Ce cinéma très littéraire basé essentiellement sur de longues scènes de dialogues, ses références culturels pédantes à l'art et la philosophie, cette recherche de vérité quasi-documentaire comme idéal de fiction, cette manière de scruter les visages en gros plan, ce besoin quasiment maniaque de vérité et de réalisme sont généralement bien loin des exigences du cinéma qui me transporte le plus. Pourtant, Abdellatif Kechiche parvient avec La vie d'Adèle a totalement m'embarquer dans une histoire d'amour pour laquelle je vais vibrer, rire et pleurer durant près de trois heures. Impossible alors de nier le singulier talent de réalisateur de Abdellatif Kechiche qui transforme comme un alchimiste des dizaines de choses que je déteste généralement au cinéma en un film que j'aime énormément. Pourtant La vie d'Adèle ne commençait pas sous les meilleurs hospices en suivant cette jeune lycéenne dans un cours de littérature dissertant pendant dix bonnes minutes sur La vie de Marianne de Marivaux. Et puis soudainement la magie opère; le naturel confondant des comédiens, la sensibilité du propos, la délicatesse du portrait, la vérité des mots et des gestes nous embarque presque immédiatement à suivre avec attention et affection cette vie d'Adèle.


Abdellatif Kechiche est certes une réalisateur qui cherche la vérité, qui tente de retranscrire le réel à la manière d'un documentaire pour mieux s'approcher des sentiments de ses personnages mais ce n'est pas pour autant un cinéaste qui délaisse l'outil cinématographique et la mise en scène. Si certains parti pris pourront sans doute agacer les plus réfractaires à ce type de cinéma il n'en demeure pas moins que le talent de mise en scène de Abdellatif Kechiche est indéniable. Car La vie d'Adèle regorge de grands moments de cinéma dans lesquels le réalisateur parvient à capter avec beaucoup de subtilité et de force l'émotion d'un sentiment amoureux naissant, le trouble et la violence d'une étreinte sexuelle, le malaise d'une trop grande différence de classe sociale ou la viscérale douleur d'une rupture. Kechiche cadre au plus près ses personnages , semble scruter le moindre frisson sur la peau où dans les regards, le moindre souffle, le moindre geste devient significatif des sentiments des personnages. Le naturalisme et cette recherche de vérité n'empêche jamais le film de livrer des moments de poésie comme les baisers échangés entre Adèle et Emma en contre jour avec la lumière qui illumine les visages où la fête durant laquelle est projeté sur un écran en arrière plan un film dont les images sont les échos des sentiments des personnages. La construction du film est elle aussi parfaitement maîtrisée Abdellatif Kechiche jouant souvent sur la répétition de deux scènes dans des contextes différents afin de mieux cerner les doubles personnalités de ses deux héroïnes. On pourrait ainsi disserter et disséquer des heures sur la double scène du repas de famille durant lesquels Emma présente Adèle à ses parents (famille recomposée, artistes bohèmes, liberté d'esprit envers l'homosexualité) avant que Adèle n'en fasse de même avec les siens ( plus pragmatiques, plus ancré vers des valeurs de travail et dans laquelle l'homosexualité n'est pas révélé). Les doubles scène de l'anniversaire d'Adèle et de la fête d'Emma sont elles aussi très révélatrice tout comme le rapprochement que l'on peut faire entre la rencontre entre Emma et Adèle dans un bar gay avec leur dernière retrouvailles bouleversante dans un autre bar montrant l'abîme qui sépare la passion d'un amour naissant et le désespoir d'une rupture. Quant aux scènes de sexe qui ont tant fait parler d'elles Kechiche parvient à filmer l'étreinte et les corps de manière suggestive sans être pornographique, il exprime la passion et la violence torride de la jouissance sans sombrer dans le voyeurisme gratuit, il filme les corps en gros plans et nourrit sa bande son de souffle, de frôlement, de râles et de bruit suggestifs sans jamais être vulgaire mettant en images et en lumières les corps enchevêtrés comme de véritables sculptures. Et une nouvelle fois au fil des scènes Kechiche nous montre comment d'étreintes en étreintes la passion fulgurante et un peu maladroite des premières fois fait place à la complicité du plaisir sexuelle, puis à une certaine usure...


La vie d'Adèle est un film militant mais sans vraiment l'être, car objectivement Abdellatif Kechiche ne revendique rien haut et fort concernant l'homosexualité. En revanche le film en touchant à l'universalité du sentiment amoureux par le biais de cette histoire entre deux filles démontre à tous les imbéciles obtus qui pensent encore le contraire que aimer une fille où bien un garçon c'est encore et toujours aimer et que les troubles, les frissons et même les engueulades restent globalement identiques. Peu importe que cette histoire concerne deux jeunes filles, Abdellatif Kechiche touche les spectateur car les sentiments qu'il parvient à mettre à nu sont eux absolument universels. Le parcours de cette jeune adolescente un poil hésitante, un peu paumée, se cherchant pour finir par s'affirmer en tant que femme dans un amour absolu avant de se fracasser sur la difficulté de vivre une passion exclusive fera fatalement écho à notre propre parcours et nos propres émotions. En montrant cette relation amoureuse et charnelle sans clichés ni militantisme, en nous impliquant sur un registre purement émotionnel Kechiche parvient à réaliser le plus vibrant plaidoyer pour l'homosexualité en semblant nous demander de simplement regarder en face la réalité qui est que ses femmes (où ses hommes) s'aiment tout simplement comme nous tous. La vie d'adèle est à l'image de l'amour lui même, troublant, touchant, bandant, poignant, bouleversant et débordant de vie.


Impossible de parler de La vie d'Adèle sans évoquer ses deux actrices principales avec Léa Seydoux mais surtout l'extraordinaire Adèle Exarchopoulos dans le rôle d'Adèle. Quasiment constamment présente à l'image durant trois heures, la jeune comédienne de 19 ans livre une performance assez bluffante d'authenticité, de force, de présence et d'émotion. Les méthodes de direction d'acteurs tyranniques et exigeantes de Kechiche peuvent être jugés trop extrême mais impossible de nier que le résultat à l'écran est assez magique tant l'émotion et l'authenticité des deux actrices vous transporte et vous transperce. Il n-y-a rien de pire que la fausse authenticité au cinéma, cette volonté de capter l'émotion et la vérité qui sonne si souvent faux est ici parfaitement crédible. A la fois très écrite et partiellement improvisées les scènes de La vie d'Adèle sonnent toujours justes et bien que souvent filmé en très gros plan les comédienne ne trahissent jamais d'un regard, d'un geste ou d'un souffle la véracité des moments qu'elles interprètent.


La vie d'Adèle est donc un très joli film porté par deux actrices magnifiques; un film qui réussi à amuser, toucher et émouvoir pendant trois heures et dont les échos restent longtemps dans la tête et le cœur.

freddyK
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le 13 oct. 2019

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