Une nouvelle approche, mais très novatrice et puissamment esthétique, de ce que l'on peut presque nommer le mythe de Robinson.
Dès la scène de tempête initiale, le spectateur est projeté dans l'action par le grand réalisme du son, qui rééquilibre le tracé du dessin animé et son caractère nécessairement plus distant par rapport au réel. Cet écart entre un son très figuratif et une image plus allusive perdure tout au long de ce film devant lequel nous retenons souvent notre souffle, soit du fait d'un suspense lié à l'action, soit du fait d'une beauté qui, à l'image de la tempête liminaire, nous submerge littéralement.
Car, au-delà de la robinsonnade - l'organisation de la survie, les tentatives de fuite, leur échec, l'installation dans une nouvelle vie îlienne - et du récit inattendu auquel elle donne lieu, l'un des axes de force du film réside sûrement dans sa représentation des éléments, que ceux-ci soient marins ou aériens : des gammes de bleu, de gris, de vert se déclinent ainsi, généralement dans des tons très doux et avec un effet d'estompage qui ne serait pas sans évoquer certains fonds de Caspar David Friedrich. Les rochers, le sable, sont parfois figurés avec la même rugosité finement polie qui traduit bien l'ambiguïté de tout ce qui relève du naturel : une immense capacité de don, de protection, mais aussi de redoutables et imprévisibles pulsions destructrices, à l'image du rôle joué ici par l'eau.
Eau qui se trouve d'emblée dépeinte dans son redoutable pouvoir de meurtre, mais qui peut se faire aussi porteuse des plus précieux dons, pour se commuer de nouveau en monstre marin furieusement lancé à l'assaut de la terre que l'on croyait ferme. C'est néanmoins son aspect pourvoyeur et généreux qui restera sans doute le plus longuement inscrit en nous, à travers l'une des plus belles scènes de rencontre homme-femme qu'il ait jamais été donné de voir : rencontre tri-dimensionnelle, puisque subaquatique, dans laquelle les deux corps vont pouvoir aller l'un vers l'autre et s'envisager, s'approcher, en une danse véritablement miraculeuse, qui occupe tout l'espace et fait s'évanouir le monde à l'entour.
Le renoncement complet au langage verbal et articulé, choix très judicieux progressivement effectué par Michael Dudok de Wit, achève de conférer un caractère radical, universel et intemporel, à ce nouveau traitement d'une figure qui exerce sa fascination depuis plusieurs siècles.