La Tortue rouge
7.2
La Tortue rouge

Long-métrage d'animation de Michael Dudok de Wit (2016)

Une nouvelle approche, mais très novatrice et puissamment esthétique, de ce que l'on peut presque nommer le mythe de Robinson.


Dès la scène de tempête initiale, le spectateur est projeté dans l'action par le grand réalisme du son, qui rééquilibre le tracé du dessin animé et son caractère nécessairement plus distant par rapport au réel. Cet écart entre un son très figuratif et une image plus allusive perdure tout au long de ce film devant lequel nous retenons souvent notre souffle, soit du fait d'un suspense lié à l'action, soit du fait d'une beauté qui, à l'image de la tempête liminaire, nous submerge littéralement.


Car, au-delà de la robinsonnade - l'organisation de la survie, les tentatives de fuite, leur échec, l'installation dans une nouvelle vie îlienne - et du récit inattendu auquel elle donne lieu, l'un des axes de force du film réside sûrement dans sa représentation des éléments, que ceux-ci soient marins ou aériens : des gammes de bleu, de gris, de vert se déclinent ainsi, généralement dans des tons très doux et avec un effet d'estompage qui ne serait pas sans évoquer certains fonds de Caspar David Friedrich. Les rochers, le sable, sont parfois figurés avec la même rugosité finement polie qui traduit bien l'ambiguïté de tout ce qui relève du naturel : une immense capacité de don, de protection, mais aussi de redoutables et imprévisibles pulsions destructrices, à l'image du rôle joué ici par l'eau.


Eau qui se trouve d'emblée dépeinte dans son redoutable pouvoir de meurtre, mais qui peut se faire aussi porteuse des plus précieux dons, pour se commuer de nouveau en monstre marin furieusement lancé à l'assaut de la terre que l'on croyait ferme. C'est néanmoins son aspect pourvoyeur et généreux qui restera sans doute le plus longuement inscrit en nous, à travers l'une des plus belles scènes de rencontre homme-femme qu'il ait jamais été donné de voir : rencontre tri-dimensionnelle, puisque subaquatique, dans laquelle les deux corps vont pouvoir aller l'un vers l'autre et s'envisager, s'approcher, en une danse véritablement miraculeuse, qui occupe tout l'espace et fait s'évanouir le monde à l'entour.


Le renoncement complet au langage verbal et articulé, choix très judicieux progressivement effectué par Michael Dudok de Wit, achève de conférer un caractère radical, universel et intemporel, à ce nouveau traitement d'une figure qui exerce sa fascination depuis plusieurs siècles.

AnneSchneider
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films dans lesquels l'eau joue le rôle d'un protagoniste

Créée

le 29 juin 2016

Critique lue 651 fois

18 j'aime

4 commentaires

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 651 fois

18
4

D'autres avis sur La Tortue rouge

La Tortue rouge
Shania_Wolf
7

Une île de poésie dans un océan de blockbusters

Extrêmement épuré, dans l’histoire, l'image comme le son, La Tortue Rouge promet une expérience apaisante, suspendue au-delà du temps. Un instant de poésie dans ce monde de brutes, mais dont les...

le 28 juin 2016

104 j'aime

3

La Tortue rouge
Feihung
5

C'est très beau mais...

A la sortie de la salle j'étais partagé, très partagé même. Le film dispose d'une direction artistique vraiment de toute beauté, l'animation est réussie, la bande son est vraiment en accord avec le...

le 5 juil. 2016

72 j'aime

6

La Tortue rouge
fyrosand
9

Seul au monde ... Enfin presque .

En coopération avec le Studio Ghibli, Michaël Dudok De Wit nous livre un superbe film d'animation métaphorique et symbolique dans lequel tout est conté avec la musique et le visuel, sans aucun...

le 29 juin 2016

70 j'aime

11

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

76 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

73 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

70 j'aime

3