Bon, alors, je n’ai vu que les quatre derniers films de Mikhail Kalatozov, parmi lesquels son plus célèbre, Quand passent les cigognes. Celui-ci fait partie des symboles cinématographiques forts du Dégel (la période qui a eu lieu durant les années suivant la mort du deuxième plus célèbre méchant moustachu de l’histoire !). À ce qui paraît, j’ai lu à droite à gauche que ses œuvres antérieures de la période stalinienne déchirent pas mal aussi. Mais bref, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est La Tente rouge, le tout dernier film du réalisateur.


Et bordel, s’il s’était arrêté au précédent, il aurait tiré sa révérence avec l’époustouflant Soy Cuba. Ainsi, il aurait pu entrer dans la liste peu fournie des grands cinéastes ayant terminé sur un sommet (avec les John Huston, les Joseph L. Mankiewicz, les Stanley Kubrick, les Jacques Becker, les Elem Klimov, les Max Ophüls, les Sergueï Eisenstein, les Sergio Leone, les Cecil B. DeMille !). Mais il y a le film de trop, cette Tente rouge


Mikhail Kalatozov, c’était un type qui faisait virevolter sa caméra comme personne. Ce qui donne un baroque de dingue insufflant un lyrisme du feu de Dieu. Non, mais je n’exagère pas. Vous ne me croyez pas ? Ben, regardez Quand passent les cigognes, Soy Cuba ou La Lettre inachevée.


Le film de survie avec des êtres dans un milieu naturel qui ne leur fait pas de cadeaux ? Kalatozov avait montré qu’il était à l’aise dans ce genre avec La Lettre inachevée. Le fait de bien diriger une distribution étrangère ? Il avait prouvé qu’il en était pleinement capable pour Soy Cuba. Mettre en scène une histoire d’amour bien déchirante avec un souffle romanesque incroyable ? Difficile de ne pas kiffer Quand passent les cigognes.


La Tente rouge, c’est un film de survie, avec une distribution en très grande partie étrangère (je veux dire du point de vue de Kalatozov !) et avec une histoire d’amour. Pourtant, l’ensemble est un échec selon moi. Et je vais essayer d’expliquer du mieux que je le peux pourquoi.


C’est compréhensible que le réalisateur n’ait pas pu résister à la tentation de mettre en scène cette production italo-soviétique sur le sauvetage de l’expédition Nobile, coincée dans les vastes terres hostiles du Pôle Nord (oui, c’est un biopic sur un fait historique s’étant déroulé en 1928 !). Ben ouais, une méga-tonne de moyens. Des thématiques qu’il connaissait. Un casting de gros malade comprenant Sean Connery (en premier dans le générique, même s’il n’apparaît que quelques minutes en tout, dans la peau du légendaire explorateur Roald Amundsen, qui a disparu après être parti à la recherche d'Umberto Nobile et de son équipe !), Peter Finch dans le véritable rôle principal (Nobile donc !), Claudia Cardinale ou encore Hardy Krüger, sans parler d’Ennio à la BO.


Bon, les défauts, par où commencer ?


Déjà, le scénario s’encombre de dialogues bien explicatifs, pompeux, peu naturels et barbants, ne laissant jamais aux spectateurs la possibilité de comprendre et de penser par eux-mêmes, que ce soit du point de vue de ce qui arrive à l’écran (c’est comme si vous aviez un commentaire audio pour les sourds et malentendants du début à la fin !), mais aussi du point de vue du fond. Pour ce dernier, les séquences pendant lesquelles le protagoniste, vieux (ah oui, au passage, autant pour Finch que pour Connery, il ne suffit pas de simplement faire porter des cheveux blancs à un acteur pour faire croire qu’il est âgé !), pris d’insomnie, appellent les fantômes du passé (incarnés par les personnes auxquelles il a eu affaire !) pour être jugé, sont des exemples bien significatifs de la lourdeur explicative d’ensemble. C’est très bien de vouloir vanter l’héroïsme de chacun ou sur sa supposée absence chez d'autres, de souligner que les actes plus ou moins désintéressés du plus grand nombre vers un but commun peuvent faire des prodiges, mais bordel, laissez les spectateurs penser, déduire par eux-mêmes. Ils n'avaient pas besoin de ça pour saisir les choses.


Ensuite, l’histoire d’amour est d’une inutilité complète (conséquence, Claudia Cardinale est inutile là-dedans !). Elle n’apporte rien à l’intrigue (elle aurait été supprimée, le tout aurait juste été composé d’un peu de pellicule et d’un nom de star sur l’affiche en moins !), ni à sa consistance, ni à la manière dont elle est menée. Une rencontre brève, une roulade tout aussi brève dans la neige et paf, on est censé s’attacher et croire à un couple d’amoureux vivant une romance forte et intense ? C’est censé être impactant scénaristiquement et émotionnellement ? Encore, si le personnage joué par Cardinale avait été sympathique, empathique, il aurait pu toucher par son opiniâtreté, faire fonctionner le truc, le mettre en branle à lui tout seul malgré tout. Mais à la place, on a une femme qui croit que tout lui est dû, qui demande à des personnes de risquer leur vie pour sauver celle de son amant, en leur faisant bien comprendre qu’elle n’en a rien à foutre s’ils en meurent. Mais va te faire foutre, c……., et vas-y toi-même te geler les ovaires au Pôle Nord !


Après, vous vous souvenez quand je disais un peu plus haut dans cette critique que Kalatozov faisait virevolter de ouf sa caméra dans ses précédents films ? Ben, là, peut-être empesé par le poids des stars étrangères qu’il dirige (dans Soy Cuba, il n’y a pour ainsi dire que des inconnus !), le réalisateur reste assez plan-plan, sage, conventionnel. Ce qui fait que le peu de fois pendant lequel il se laisse aller, ça paraît sorti de nulle part, tellement cela contraste un peu trop avec le reste. Alors que dans les autres films que j’ai cités, c’est du virevoltage, du baroque, du lyrisme de la première jusqu’à la dernière seconde. Ce qui donnait une forme uniforme de cohérence technique, visuelle et narrative.


Ah oui, passez les noms principaux déjà évoqués du casting, auxquels on peut en ajouter deux ou trois autres (comme celui d'un jeune Nikita Mikhalkov !), le reste des acteurs est assez fadasse. Et qui dit distribution internationale (j’en enlève la partie soviétique puisque les acteurs russes parlent leur langue !), dit que l’anglais est employé par tout le monde. Ce qui donne un doublage parfois pas franchement terrible des masses, surtout en ce qui concerne les Italiens (D’ailleurs pourquoi ils n’ont pas mis d’Italiens parlant italien pour les personnages italiens ? Ben ouais, ils l’ont bien fait pour les Soviétiques et vous n’allez pas me dire qu’il n’y avait pas des stars masculines charismatiques de la "Botte" à l’époque quand même ? Et puis, on passe à l’anglais quand il y a des interactions entre personnes de différentes nationalités, voilà... ça aurait été plus pertinent ainsi !).


Qu’est-ce qu’il y a à sauver ? Une BO correcte d’Ennio, même si elle ne fait pas partie de ses plus mémorables, des images spectaculaires de banquise, quelques bonnes interprétations, avec occasionnellement de belles idées dans l’approfondissement des personnages (les Soviétiques, Connery dans le peu qu’il joue en Amundsen passé d’aventurier intrépide à être humain vieillissant lucide, compréhensif et désabusé, ou encore Hardy Krüger en pilote cynique et crapule profiteuse !). Ouais, pas grand-chose… Mikhail Kalatozov aurait mieux fait de s’arrêter à Soy Cuba.

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le 10 oct. 2022

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