-Un film de Chaplin, daté de 1925 celui-ci. Un des plus beaux films de l'histoire du cinéma. Chaplin est, au fond, le réalisateur le plus intellectuel, le plus radical, le plus profond, le plus artiste, le plus fin, le plus hardcore, le plus underground, et le plus philosophe. Celui dont les films, d'entre tous, nous apportent, aujourd'hui encore, le plus d'éléments concrets et le plus de solutions concrètes, le plus d'éléments de réponse, à l'intention de nos vies présentes et de nos quotidiens, tout de suite, là tout de suite, là maintenant. Bien évidemment est-il gentiment snobé -sans être attaqué de front toutefois, attitude que du reste l'on voit être adoptée de façon commune vis-à-vis de tous les monuments de l'art : Victor Hugo par exemple est tout autant snobé que Chaplin, Godard lui même est snobé de la même façon, avec cette espèce de mépris souriant et respectueux, incrédule, n'est-ce-pas... Mais, mais, enfin, tout ceci n'est pas très étonnant... Revenons à notre cinéma, comme le disait Hawks, pour qu'une comédie fonctionne, il faut qu'elle soit bâtie absolument sur une toile de fond tragique. Dans Some like it hot de Wilder, par exemple, les musiciens sont sans le sou, leur seul solution est de se déguiser en femmes pour pouvoir avoir un travail et survivre, dans Les hommes préfèrent les blondes les deux actrices sont obligées d'être danseuses pour pouvoir casser la croûte, c'est soit ça soit la rue; la situation comique, pour avoir son sel, doit toujours être mise en présence d'une situation critique de survie, il doit y avoir confrontation : Et cette toile de fond tragique se retrouve dans absolument toutes les bonnes comédie, il suffit de chercher, on en trouve toujours une. Vous n'en trouvez pas ? Votre comédie est donc mauvaise.


Dans les Chaplin, la toile de fond est, carrément, complètement visible, nu : Son personnage de Charlot est un personnage seul, sans savoir, sans compétences, sans identité, sans le sou, sans rien, autrement dit, la situation où se joue ses films est une situation complètement inhumaine, c'est une situation catastrophique, dramatique, car Charlot est perpétuellement dans une situation où il risque de crever de faim, il risque la mort, c'est un mort en sursis, or, là où Chaplin est un génie suprême et un grand artiste, là où n'importe quel petit esprit ou petit artiste aurait rajouté du noir sur du noir ( Tel ce sordide et criminel de Zola, en rabâchant contexte politique révolution problèmes économiques ect ect ect on connait tout ça hein, la méchanceté profonde de ces gens-là...), Chaplin lui fait un p'ti bond de côté et pond soudain une grosse couche de blanc, construisant, plan par plan, de façon ingénue et complètement pur, des multitudes de gags visuels immédiatement compréhensible par tous, édifiant des contrastes à la fois complètement contradictoires et diaboliquement concrets : Son cinéma plus que n'importe quel autre nous apprend qu'il faut rester classe, qu'il faut rester digne et grand dans la misère même la plus absolue, car c'est la misère absolue et à part miracle on ne peut y échapper, mais ça ne fait rien de rien ! Ce qui est une vision métaphysique de l'existence, anti-politique et anti-réaliste, basée sur la croyance profonde en la simplicité sommaire qui vit au tréfonds de l'être humain (car, tout être humain, au fond, n'a besoin que de bouffer pour vivre, de rien de plus, si on veut être vraiment de chez vraiment crû, c'est le seul besoin sine-qua-none), la vision Chaplinienne est un vision basée sur la croyance profonde, et ce dans tous les domaines, en la disparition et en l'extinction progressive de toute forme de sophistication inutile et infertile à perpétuer la vie humaine au profit de la survie des formes simples qui sont seules assez fortes et concrètes pour intégrer une vision "démocratique" et populaire, à la fois respectueuse de la dignité primaire de chacun et vivante organiquement en tant que tout; d'où le succès populaire incroyable de son personnage, Chaplin ayant été comme on le sait le visage le plus célèbre au monde à son époque, Chaplin ayant fondé le cinéma à lui seul quasiment, par ce génie populaire qui a tout emporté sur son passage et qui est aujourd'hui encore absolument irrésistible. N'oublions pas que Chaplin a tué le théâtre, qui commençait déjà à être bien décadent, et n'oublions pas que, à l'époque de Chaplin, tous les acteurs de théâtre refusaient absolument de jouer dans des films, c'était alors considéré comme une espèce de prostitution. C'est dire si l'apport de Chaplin est paradigmatique, et si, derrière le grand homme, au visage universel et connu de tous, se cache un autre grand homme plus secret, embusqué entre les lignes, voilé entre les photogrammes de chaque plan, et qui avait une vision non seulement pratique de son art mais, surtout, une vision totale de la civilisation et de son rôle dans celle-ci, générateur de forces positives alors inconnues et de lents (mais sûrs !) changements dans le subconscient social, et dans l'esprit humain.


Autrement dit, le cinéma de Chaplin est le cinéma de la survie. Chaplin nous dit que survivre est en-soi un art, (sous-entendu : l'art vrai n'existe donc pas, ce n'est qu'un luxe, il ne faut surtout pas le prendre au sérieux) ce qui est ma foi vrai, qu'est-ce-que l'art ? L'art, au fond, c'est savoir se débrouiller de façon propre pour avoir à bouffer. Tous les mouvements du personnage de Charlot ne tendent à chaque fois qu'à cet humble horizon. Un boulanger est un artiste, un vagabond est un artiste, un boucher est un artiste, ect. C'est à dire que la vision de Chaplin est anti-bourgeoise par excellence, il ne s'agit que de vivre à peu près dignement, pas plus, mais pas moins non plus (Si on enlève la dignité, un film ne fonctionne plus là non plus !). En hommage à Chaplin, au plus grand cinéaste de tous les temps (quoique, il y'a Griffith aussi...), on peut donc formuler cette espèce de maxime : Tout cinéaste qui oublie la leçon "de survie" Chaplinienne est un cinéaste foutu, tout artiste qui vise au-delà des stricts nécessités de l'estomac, de la stricte survivance alimentaire (la bouffe, la survie), est un artiste qui s'est perdu dans les limbes d'une maladie représentée par je ne sais quelle fausse école esthétique... Une oeuvre doit être fun et simple, nous dit le grand maître, et... et ben c'est tout, dès qu'elle veut être autre chose, elle meurt dans l'œuf, car dès-lors elle perd son caractère de funité et de simplicité. Autrement dit : On ne peut pas tout avoir ! Soit on est simples et amusants, soit on ne l'est juste pas.

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le 1 févr. 2023

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