Le western est devenu un genre noble dans les années 1940 et son meilleur fournisseur et emblème était alors le tandem John Ford/John Wayne. Les réalisateurs importants se mettent au genre et Hawks arrive ainsi au western. En 1948 c'est à son tour de faire jouer Wayne, pour lui offrir, avec Ethan Edwards de La prisonnière du désert, son rôle le plus recherché et nuancé. Il le retrouvera onze plus tard pour Rio Bravo, un des westerns les plus appréciés bien qu'il soit d'un manque de vitalité consternant.


Dans le domaine du western classique, La rivière rouge rejoint les bons voir les meilleurs titres. Contrastant avec le Ford de l'époque, Hawks se distingue par une plus grande subtilité sur la forme. Les films d'Howard Hawks sont d'une grande beauté visuelle et le cinéaste fait une nouvelle fois la démonstration de son réalisme sophistiqué, huit ans après le très beau Port de l'angoisse et juste après son Grand sommeil. Cela tranche avec les travaux de John Ford où le poids des studios se fait violemment sentir dans les décors, avec peu de plans larges.


La rivière rouge se distingue par son abondance de dialogues et des personnages très fouillés, mais cette vertu n'est pas sans vices typiques en retour. Il est aussi un spectacle au développement très laborieux et où l'intrigue frise avec l'évanouissement : le but donné aux personnages n'est pas de traverser le désert pour remettre un nouveau-né à des tuteurs (Le fils du désert), d'affronter des Indiens ou des bandits, mais d'acheminer les bêtes d'un ranch vers une gare du Kansas.


Le manque d'action est cependant compensé par une tension intimiste et par les confrontations des personnages. La rivière rouge se suit donc avec plaisir, toujours un plaisir modeste mais sincère, sans entraves. Il substitue tellement les aléas relationnels et existentiels aux gentilles rodomontades de ses concurrents qu'il en arrive à la lisière de la méditation. Le western façon Hawks n'est pas sans niaiserie lui non plus et Rio Bravo sera d'ailleurs une quintessence dans le registre, mais il n'y a pas la même ivresse mielleuse ici que dans la trilogie de la cavalerie ou même La chevauchée fantastique.


Hawks parle le langage des émotions mais toujours avec finesse et distance. Il ne cherche pas à nourrir un mythe positif et ne s'investit dans ses personnages pour leur faire porter de quelconques messages compassés. Il présente un univers masculin quasi exclusif en donnant au mieux dans les clichés de la réalité et non ceux du cinéma, optimiste ou pas. Il réalise au passage l'un des seuls western avec de vrais cow-boy, c'est-à-dire des gardiens et convoyeurs de troupeaux de bétail et non des solitaires badass ou paternalistes.


Il raconte enfin une construction familiale chancelante, entre un vieux patriarche et le jeune orphelin qu'il a adopté. Repoussé par Tom Dunson (Wayne) et prévenu des menaces pesant lui, Matthew (Montgomery Clift) n'arrive pas à se résigner. Il est pourtant poussé à la rébellion par les camarades du convoi, ne supportant plus la tyrannie de Dunson. Les scénaristes Chase et Schnee, suivant la trame d'un roman, développent cette rupture des valeurs, ces loyautés ambivalentes, ces admirations contrariées et cette haine à sens unique. La réussite aurait cependant été plus anodine sans l'excellence des acteurs présents – hormis le plus grand, Wayne, en petite forme.


Hawks : http://www.senscritique.com/film/Le_Port_de_l_angoisse/critique/37746718
http://www.senscritique.com/film/Le_Grand_Sommeil/critique/36337891


http://zogarok.wordpress.com/

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le 27 déc. 2014

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