Projet de longue date impulsé par Claude Berri, "La Reine Margot" de Patrice Chéreau cherche moins à coller au plus près de l'histoire de France ou au roman d'Alexandre Dumas qu'à sortir le genre moribond du film d'époque en le transformant en miroir de notre temps, l'oeuvre prenant appui sur des conflits de l'époque (guerre du Golf...) afin de voiler l'ensemble d'une modernité fracassante.

Ne retenant du roman éponyme que l'essentiel, l'adaptant, le modelant à ses envies et ses névroses, Chéreau, aidé par Danielle Thompson au scénario, transcende non seulement sa source littéraire mais également le genre auquel il appartient, le propulsant à des cimes encore jamais atteintes dans le cinéma français, éclaboussant l'écran d'un rouge écarlate et empuantissant le cadre d'une fragrance nauséabonde où se mêlent chairs putrides, sperme séché et poison mortel.

Abordant son sujet comme une véritable saga sicilienne, Chéreau accouche d'une oeuvre baroque et violente, belle comme un tableau de Goya et brutale comme un film de Scorsese, malaxe le roman de Dumas pour en faire une vision décadente et sulfureuse de la royauté, faisant du personnage de Marguerite non plus une figure romantique mais un portrait de femme complexe et fiévreux, sentant le sexe et la luxure par tous les pores, malheureusement incarné par une Adjani au jeu une fois encore outrancier et approximatif. Heureusement, ses partenaires, féminins comme masculins, s'en sortent tous avec les honneurs, à commencer par Jean-Hugues Anglade, complètement abandonné dans son rôle casse-gueule, et Virna Lisi, délicieusement détestable.

Tableau dantesque d'une des pages les plus sanglantes de l'histoire de France, "La Reine Margot" perd en clarté et en intrigues de cour ce qu'il gagne en pur cinéma, fresque aussi épique qu'intimiste comme on en voit rarement de nos jours, une oeuvre puissante aux images flamboyantes et hantée de toute part par la partition lyrique de Goran Bregovic.

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le 21 juin 2014

Modifiée

le 21 juin 2014

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Gand-Alf

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