La Liste de Schindler reste sans doute aujourd'hui l'un des films les plus traumatisants sur l'holocauste. Avec ce film, Spielberg a accouché d'un chef-d'œuvre tout en contribuant, de la plus belle des manières qui soit, au devoir de mémoire. Mais voilà, lorsque le metteur en scène américain s'attaque à ce récit délicat, il a déjà à son actif une bonne vingtaine de réalisations. Du coup, lorsque Roselyne Bosch (auteure de 1492 : Christophe Colomb) décide de s'attaquer à l'épisode douloureux de la rafle du Vel' d'Hiv' dès son deuxième long-métrage, tous les doutes sont permis.
Hélas, la réalisatrice tombe dans tous les pièges qui lui étaient tendus ! Le premier écueil qui nous saute littéralement aux yeux, c'est la représentation des "méchants" (car ils sont traités comme de vulgaire vilains de série B) : Hitler ressemble à un personnage de cartoon suscitant davantage le sourire gêné que l'effroi. Les représentations de Pétain et Pierre Laval sonnent déjà plus juste, mais les dialogues ne leur donnent guère de consistance et ne font que caricaturer les réels personnages historiques (monstrueux !) qu'ils étaient. D'un point de vue narratif, leurs scènes ne servent à rien d'autre qu'à contextualiser la période historique. On peut donc naturellement se demander s'il n'aurait pas été plus sage de se focaliser exclusivement sur les familles déportées. A vrai dire, on aurait tendance à répondre par l'affirmative, puisque la façon dont elles sont dépeintes paraît plus authentique grâce à des interprétations plus solides (sauf Gad Elmaleh). Mais le mal est fait, la multiplication des points de vue a déjà brouillé les pistes et on peine à s'attacher complètement aux personnages, faute d'avoir pu "vivre avec eux".
Puis vient la rafle du titre, et là, le film verse dans le pathos jusqu'à l'étouffement. De l'Adieu en larmes d'un jeune garçon à son camarade juif, au suicide d'une jeune mère et son bébé, rien ne nous est épargné. Les passages au Vel' d'Hiv' et dans les camps de concentration cherchent également à nous émouvoir dès que possible (voir cette petite fille donner son bouquet de fleurs à un garde avant le départ pour Auschwitz), mais impossible d'être réellement touché, tant notre attention est attiré par le nombre conséquents de lacunes qui s'accumulent de minute en minute. Car La Rafle est bourré d'envolées lyriques embarrassantes ("Vous ne pourrez pas nous faire tous disparaître" lance un Jean Réno bouffi à un nazi, le sourire en coin), d'approximations historiques (les Parisiens, [presque] tous Résistants) et de faux raccords (après une ellipse de 3 ans, les enfants n'ont pas vieillis). Et que dire de ce happy ending totalement injustifié et insultant ?!
Cette dernière remarque renvoie au personnage du petit Nono et non à Joseph "Jo" Weissman, qui est réellement le seul enfant survivant de la déportation de Beaune-la-Rolande vers Auschwitz.
Enfin, il faut aussi citer l'étrange structure en boucle de La Rafle : le film s'ouvre sur un Paris toujours vivant malgré la présence de la Gestapo (l'image d’Épinal de la butte Montmartre etc...) et se clôt sur un Paris libéré mais dans une ambiance similaire. Que faut-il comprendre là ? "Paris sera toujours Paris" ? "Il en faut plus pour tuer Montmartre" ? A trop vouloir faire un film parisianiste, Rose Bosch perd la portée universelle de son sujet (dénoncer un génocide, n'est-ce pas dénoncer TOUS les génocides ?) et en arrive à nous donner la nausée !
En définitive, La Rafle est un film terriblement antipathique qui hésite entre fresque historique et journal de déportés. De ce beau gâchis, on sauvera malgré tout une direction artistique plutôt convaincante et une volonté sans doute sincère mais maladroite de traiter d'un sujet trop peu exploité dans le cinéma français. Mais pour ceux qui espéraient un "Schindler à la française" — comme aime à le présenter son producteur, Ilan Goldman —, passez votre chemin. A croire qu'un sujet des plus nobles ne fait pas obligatoirement un bon film.