La Porte du paradis est un mythe, celui du voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et des studios United Artists. Torpillé par la critique et boudé par le public à sa sortie en 1980, le film ne rapporta qu’un peu plus de 3 millions de dollars pour un budget de 44 millions. L’échec cuisant mutilera la carrière du réalisateur et entrainera la faillite des studios. Trente ans plus tard, le film est projeté dans sa version director's cut à la Mostra de Venise, réhabilitant enfin l’œuvre de Cimino.


La Porte du paradis romance en profondeur la Guerre du comté de Johnson qui opposa à la fin du XIXe siècle les riches fermiers du Wyoming aux nouveaux arrivants, qui après avoir fuie la misère en Europe, tentaient de construire une nouvelle vie dans ces vastes étendues de l’Ouest américain. Accusant ces migrants de voler leurs bétails, les propriétaires embauchèrent une cinquantaine de mercenaires pour exécuter une centaine de personnes soupçonnées de vol. Ce à quoi ils ne s’attendaient pas, c’était la farouche résistance de la population du comté qui attaqua les hommes de main. Le conflit fit une vingtaine de morts.


En dehors de son aspect fresque épique, La Porte du paradis est une insouciante triangulaire amoureuse entre les trois principaux protagonistes : le diplômé d’Harvard devenu le shérif du comté, James Averill, interprété par un sobre mais efficace Kris Kristofferson ; Nate Champion, la gâchette du syndicat des éleveurs, dont le rôle est sublimé par le svelte et passionné Christopher Walken ; Ella Watson, prostituée française interprétée par une Isabelle Hupert au regard doux.


L’art de la photographie prend ici tout son sens. Ce décor sauvage, constitué de vastes plaines et d’immenses montagnes aux sommets enneigés se dressant en arrière-plan, est magnifié grâce au contraste avec la ville, construite de bric et de broc et où la boue, débordant de son lit, la route, semble engloutir ce furoncle urbain. Outre la photographie, le spectateur appréciera la mise en scène de ces ballets circulaires qui font office de points d’orgue aux trois parties du film. Il y a tout d’abord celle du bal de fin d’année, puis celle dans la salle Heaven's Gate où les habitants font du patin à roulette et pour terminer, la grande scène finale, la bataille où les habitants du comté tournent, en tirant, autour du groupe des hommes de main encerclés.


L’aspect contemplatif du film est brisé par cette bataille finale, qui balaye les intrigues et aspirations sociales des différents protagonistes dans une violence crue et jusqu’au-boutiste. La Porte du paradis est une œuvre contestataire, très éloigné du genre Western. L’idéal américain est mis à mal, car la justice est ici bafouée par la cupidité et la peur de l’autre et où l'on peut tuer pour préserver sa position dominante, le tout sous la bienveillante protection des autorités politiques et militaires. Un coup de pied dans la fourmilière qui n’est pas passé aux yeux d’une Amérique qui a tourné le dos à l’émancipation des années 60-70 et vient tout juste d'élire Ronald Reagan.


Ce paysage grandiose, barbouillé de nuages de poussières et de lumières éclatantes, synonyme de paradis pour cette misère fuyant l’Europe de l’est, se révèle être une supercherie. Le masque est tombé. Le paradis n’existe pas.

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le 13 mai 2017

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Vincent Ruozzi

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