On a presque tout dit sur le phénomène, les péripéties du tournage, les illusions de grandeur de Cimino, de son perfectionnisme qui a viré à l'obsessionnel, mais faut quand même avouer que la Porte du Paradis a une gueule de film de cinéma comme on en fait plus aujourd'hui, ou très rarement.

Loin du film qu'il est bon d'aimer parce que les américains le détestent, ou de l'oeuvre maudite qui en devient par conséquent immédiatement géniale, la Porte du Paradis est un vrai grand film, qui marque, qui dure, et qui s'impose à chaque fois qu'on le redécouvre comme une évidence.

Un peu trainassant, parfois, dans sa version intégrale (la seule qui compte, évidemment), un peu complaisant dans sa propre indolence, un peu décalé aussi (ce final rapiécé pas du tout à sa place), le film de Cimino est à mes yeux un choc de spectateur à tous les points de vue. La forme, sublime, avec cette restitution maniaque, qui donne à cet Ouest de studio une gueule incroyable. Mais surtout le fond, radical, violent, impitoyable comme une bande de propriétaires terriens ventrus destinés à chasser de leur terre, par les armes s'il le faut, ces pouilleux venus d'Europe tenter leur chance dans un monde meilleur. Manichéen ? Sans doute, encore que.

Il est amusant de voir que c'est le film symbole, avec le Cléopâtre de Mankiewicz ou encore le Apocalypse Now de Coppola, d'un Hollywood devenu fou de sa grandeur, et de cinéastes ayant perdu le contrôle, bouffés par la démesure de leurs productions et leur volonté de scotcher sur pellicule des moments plus grands que la vie elle même. Il est moins étonnant que ces films proposent des scènes parmi celles qui m'ont le plus marqué de ma vie de cinéphile, l'arrivée en train de Kris Kristoferson dans la ville, ou la tragique bataille de Heaven's Gate, en faisant évidemment partie.

Y'a guère que des gens comme Lean, Leone ou Cameron pour avoir su imprimer des moments aussi tétanisants et grandioses, et pour plier la réalité à ce point, pour qu'elle devienne, le temps d'un film, plus réelle encore. La Porte du Paradis fait partie de ces oeuvres plus grandes que ses créateurs, que son époque, et à ce titre un de mes "westerns" favoris, si tant est qu'on puisse appeler ainsi cette peinture réaliste et atrocement amère de l'Ouest Américain.

Un film à découvrir, dans lequel s'immerger totalement sous peine de se faire chier royalement, une oeuvre à prendre dans les gencives et à laisser décanter. Une idée de cinéma définitivement morte et enterrée par la génération Lucas, Spielberg, Zemeckis, et leurs jouets clinquants.

Magnifique score de David Mansfield au passage.
http://www.youtube.com/watch?v=WZfoi59-1to

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le 16 mars 2011

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Prodigy

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