Jusqu’à présent, la célèbre plateforme de streaming n’était guère reconnue pour la qualité de ses films produits, malgré quelques exceptions. Mais il semble que ces derniers temps les exceptions commencent à se faire plus nombreuses, et certains films sortent du lot, autrement que par leur promotion agressive ou la présence de tels acteurs à l’affiche.
C’est le cas de « la plateforme », film d’anticipation à tendance horrifique espagnol, qui a fait parler de lui en ces temps de confinement.
Diffusé au festival de Toronto avant d’être racheté par Netflix, « la plateforme » présente un concept d’anticipation, ou des prisonniers sont enfermés dans un lieu étrange : une succession sans fin d’étages, avec 2 personnes par étages, dont la seule source d’alimentation provient d’une plateforme qui descend et s’arrête à chaque niveau. Les prisonniers des premiers niveaux trouvent largement de quoi se sustenter, tandis que les niveaux inférieurs doivent se contenter des restes… et les niveaux encore plus bas se retrouvent dans une situation extrême où ils n’ont même plus de nourritures ! Obligeant les malheureux prisonniers à dévorer tout ce qui leur tombe sous la main…
Chaque mois, les détenus sont déplacés dans d’autres niveaux, avec un risque accru, pour ceux purgeant de plus longues peines, de se retrouver dans des niveaux dramatiquement bas…
Pourquoi un tel système inique et cruel ? Qui sont ces personnes ? S’agit-il vraiment d’une prison ? L’avancée du film sème d’avantage le trouble à mesure que se posent d’autres questions. En effet, il semble que certains aient été volontaires pour s’enfermer… avec une méconnaissance évidente de la réalité au sein de ce véritable enfer ! Pour quelles raisons des gens accepteraient de se sacrifier ? Il est suggéré que les bases du système qui les gouverne repose sur ce type de lieu…
Autant prévenir tout de suite, il n’y aura pas de véritables réponses à ces questions, chacun sera libre de faire son interprétation au gré des informations récoltées. Malgré tout, le film présente une vision très intéressante des inégalités de nos sociétés, de l’avidité propre à l’homme, de la peur de manquer des ressources et de ces conséquences comportementales.
Gandhi disait « Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l'homme, mais pas assez pour assouvir son avidité ». Cette citation résumerait bien le film. Car si l’on en croit l’un des personnages, les quantités seraient attribuées de façon suffisante pour l’ensemble des prisonniers/enfermés volontaires. Mais la gloutonnerie des premiers niveaux, trop heureux de profiter de cette manne, cause des pénuries dans les niveaux inférieurs.
A un moment, un des personnages essaye d’enrayer cette situation qui semble immuable, mais elle se heurte à la réticence des autres détenus. C’est que beaucoup ont aussi connu le manque dû à l’égoïsme des autres, et entendent bien faire comme tout le monde, à savoir profiter des ressources qui leur sont offerts. La prisonnière idéaliste insiste, mais en vain. Un tel système de partage équitable ne peut marcher que si tout le monde respecte les règles, et il suffit d’une minorité pour compromettre la confiance en ce système. Si la confiance est rompue, si les gens ont conscience que d’autres ne jouent pas le jeu, alors ils ne verront pas d’intérêt à le jouer aussi.
Ce comportement calé sur le comportement supposé des autres, c’est ce qu’on appelle la théorie des jeux. Ce qui explique pourquoi dans certaines villes, comme à Paris, les systèmes de vélo en libre-service ont connu de telles déboires, à la suite de vandalisme de certains, entraînant un manque de respect des autres. Et ce qui explique aussi qu’en début de confinement, on est assisté à cette étrange ruée vers le papier toilette. Non pensant que la quantité globale serait insuffisante, mais parce que des premières informations ont commencé à circuler suggérant que certains allaient se ruer dessus, poussant d’autres personnes à se ruer dessus à leur tout avant que les actions des premiers les privent de cette ressource. C’est la peur du manque qui crée la pénurie.
Et il peut suffire d’un seul connard pour tout compromettre, comme l’a expérimenté amèrement le compagnon noir du personnage principal…
La découverte de cet horrible lieu et des règles cruelles et étranges, est assez prenante car elle attise notre curiosité.
Si cette forme de représentation verticales des inégalités sociétales n’est pas nouvelle (citons en exemple le plus connu « metropolis » de Fritz Lang), cette distribution insolite de la nourriture associée à pas mal de mystères ajoutent un intérêt supplémentaire.
La seconde partie, où Goreng, le prisonnier principal, finit par se lancer dans une folle et dangereuse entreprise pour faire tomber tout le système, s’avère plutôt intense. On a envie de savoir si l’entreprise sera couronnée de succès et ce qui arrivera aux personnes qui s’y sont risquées…
A noter que pour parvenir à son objectif, il n’aura d’autres choix que recourir à la violence, finissant par devenir ce qu’il se refusait à devenir. Si l’ensemble de la plateforme symbolise le capitalisme qui régit nos sociétés, cette imposition par la force d’une autre société au nom de l’intérêt de tous n’est pas sans rappeler d’autres modèles, comme le communisme. Il n’y a donc pas de vrais héros dans ce film. Tout le monde, du révolutionnaire violent à l’idéaliste coupée du monde, a sa part de culpabilité (source : vidéo de la page Facebook de Netflix).
Très prenant tout le long, le principal défaut du film réside malheureusement dans son dénouement.
Dans sa fin qui surtout arrive trop brusquement visuellement parlant (on s’attend à voir une scène suivante mais en faite non…), et dans l’absence de vraies réponses aux questions qui subsistent. Interrogé, le réalisateur, Galder Gaztelu-Urrutia, semble vouloir entretenir un certain flou et laisser la libre interprétation à chacun sur les inégalités de nos sociétés et la difficulté à changer ces systèmes. Et s’il dénonce le modèle actuel, il affirme ne pas vouloir donner des solutions sur la manière de le renverser, ni par quel autre modèle le remplacer. Mais était-il vraiment nécessaire de se montrer aussi nébuleux ? De présenter un lieu aux règles étranges sans réellement en expliquer les raisons derrières ? La plateforme semble être seulement une métaphore de nos sociétés, avec ses inégalités et cette avidité partagée… Bon pourquoi pas.
Autre point, plusieurs interprétations subsistent dans les dernières minutes… mais ce ne sera clairement pas le premier film à s’achever sur une fin ouverte avec plus plusieurs théories possibles !
La réussite du projet débuté par les héros fait aussi partie des points qui restent ouverts… Ont-ils pu faire tomber le système, ou ce dernier, trop imposant, parvient par son inertie à empêcher toute possibilité de changement ?
Goreng descend beaucoup plus bas qu’il ne l’avait anticipé, et trouve dans le tout dernier niveau, au -333, la petite fille perdue de la mère désespérée. C’est finalement cette petite fille qui sera envoyé à la surface comme message, pour faire tomber le système. Goreng grièvement blessé s’entretient avec les fantômes de ses anciens compagnons et attend sa mort probable.
Plusieurs éléments semblent cependant étranges…. Déjà l’existence de cette petite fille, démentie officiellement, dont on se demande bien comment elle aurait pu survivre. Ensuite, la discussion hallucinée avec les morts suggère que l’esprit de Goreng est bien atteint, comme un dernier trip onirique avant la mort véritable. On se souvient que le héros, ainsi que son compagnon, aient été grièvement blessés. Il n’est pas improbable qu’il ait pu succomber à ses blessures, et ait été pris d’hallucinations dans les derniers instants, imaginant l’enfant perdu de la femme qu’il avait essayé d’aider.
Il est possible aussi qu’il ait succombé avant, rêvant jusqu’à l’existence du niveau -333, soit un nombre étonnement élevé de niveaux au-delà des capacités de nourriture disponible. En outre, 2 détenus sur 333 niveaux cela donne le chiffre symbolique de 666, telle une représentation métaphorique de l’enfer dans lequel il serait descendu. Possible donc que dans son entreprise Goreng soit décédé avant de mener à bon son projet…
Toutefois, toujours selon la vidéo postée sur la page facebook de Netflix : ces niveaux inférieurs représenteraient les parties de l’humanité dont on ignore totalement le malheur, et l’enfant aurait pu survivre alimentée par sa mère. Elle représente la partie vulnérable, souvent mal reconnue par le système, et l’espoir de changement.
En conclusion, un film surprenant qui pêche par sa fin trop brusque et une conclusion un peu trop ouverte, mais qui se rattrape par sa réflexion dérangeante sur nos sociétés.