La Pianiste de Michael Haneke n’est pas un film facile à aborder, comme la plupart des films du réalisateur autrichien d'ailleurs. Vous êtes donc prévenu, ce n'est pas un film pour tout le monde. Pour ma part, j’ai trouvé que c’était un film puissant et terriblement beau (la puissance des images et la beauté de la musique), mais qui au final me laisse sur un goût d'inachevé. Si la première moitié du film est absolument fascinante, ça monte crescendo en tension ... la seconde moitié me laisse sur ma faim. Ce que le film gagne en folie dans la seconde partie, il le perd en crédibilité / plausibilité. Je pense en particulier à un moment vraiment déstabilisant, lorsqu'Erika exerce ses frustrations sexuelles sur sa propre mère. A ce moment là, ma suspension de crédulité est mise à rude épreuve.


Erika (Isabelle Huppert) est le stéréotype même de la "vieille fille". Professeur de piano d'une quarantaine d'années, très dure et exigeante avec ses élèves(pour ne pas dire "peau de vache), elle vit seule avec sa mère (Annie Girardot) dans un tout petit appartement. Elle ne semble pas avoir de vie en dehors de la musique, pas d'amis, ni d'enfants ni même d'amants. Et pourtant c'est une très belle femme, mais la tristesse se lit sur son visage ... elle est littéralement au bord du gouffre. C'est une femme atteinte de troubles sexuels profonds, au point où ça en devient terriblement malsain ...


Ainsi le soir, après une longue journée au conservatoire, elle visite les sex-shop pour mater des vidéos de X et respire les mouchoirs "usager" laissés par les clients dans les poubelles de la cabine. Un autre soir, elle espionne un jeune couple qui s'adonne à la chose sur la banquette arrière de leur voiture. Un autre soir encore, elle n'hésite pas à se mutiler le sexe avec une lame de rasoir.


Petit à petit, nous découvrons la femme frustrée sexuellement qui se cache derrière le professeur de piano adulé par ses élèves. Pour elle, le désir n'est que source de frustrations et de souffrances.


Et puis il y a cette soirée mondaine, où elle rencontre le jeune Walter (Benoit Magimel), neveu d'une riche famille d'aristos. Non seulement Walter est beau, mais en plus il est intelligent, plein d'audace et surtout très talentueux au piano. Bien que déjà trop âgé pour faire carrière, il est vraiment très doué et devient alors son élève. Très vite on devine son désir pour elle, il entreprend alors de la séduire ...


Un jour au conservatoire, ils se retrouvent dans les toilettes et osent enfin s'abandonner à leurs pulsions inavouées (cf. l'affiche du film). Mais cette "union" est tout sauf fusionnelle, il n'en ressort qu'une relation malsaine, violente et pleine de frustrations ... allant même jusqu'au viol et à la tentative de suicide.


La Pianiste est un mélodrame sombre et froid, de la froideur des images, de la musique et des relations humaines. La froideur du film s'exprime dans la palette de couleurs, allant du marron au beige ou associant le blanc et le noir comme les touches blanches et noires du piano (cf. l'affiche du film). Le film est donc froid, mais en même temps il est somptueux. La photographie est splendide, tout comme la mise en scène et la direction d'acteurs de Michael Haneke ... jamais les acteurs ne sont meilleurs que sous la direction de Michael Haneke, jamais Isabelle Huppert n'aura été meilleure, jamais Annie Girardot n'aura été meilleure et surtout, jamais Benoît Magimel n'aura été meilleur (et ne sera jamais meilleur) que dans La Pianiste.


Même sans être un spécialiste de musique classique, on peut affirmer sans trop se risquer que la sélection est très soignée ici, avec du Schubert, Beethoven, Schumann, Brahms et Schoenberg. Je ne vais pas vous surprendre en vous disant que la musique a une énorme importance dans ce film. Je dois aussi dire que le jeu de piano est incroyable de la part d'isabelle Huppert et de Benoît Magimel.


L'histoire comporte des moments vraiment très troublants et les scènes de sexe sont susceptibles de vous faire dire "Euuuhhh ... OK, d'accord !". Alors certes, on ne voit rien et tout est suggéré, mais tout de même, le langage est vraiment très cru. La fin du film est d'ailleurs parfaitement en accord avec le ton global du film. Cette scène finale est très soudaine et déstabilisante, laissant libre cours à l'interprétation ...


Aprés qu'un soir Walter l'a violée, le lendemain Erika se rend une dernière fois au conservatoire avec l'intention de se suicider. Elle embarque avec elle, dans son sac à main, un couteau de cuisine. Mais lorsqu'elle sort le couteau et veut se le planter dans le cœur, elle ne fait que se blesser à l'épaule, laissant couler un léger filet de sang sur son chemisier. Elle quitte alors les lieux d'un pas hâtif et d'une démarche désarticulée ... FIN.


La Pianiste est un triomphe personnel pour Isabelle Huppert. Elle est incroyable dans un rôle pourtant très difficile et exigeant ... et pas facile à assumer. Son rôle lui demande de se montrer à la fois très dure et très fragile, parfois au sein de la même scène. On a vraiment l'impression qu'elle projette son âme à l'écran. Quant à Benoit Magimel, à ma grande surprise je dois le dire, il est excellent. Il joue de son charme dans la première moitié du film et une fois qu'il a séduit Erika, il devient terrifiant. Enfin, Annie Girardot est parfaite dans le rôle de la figure maternelle étouffante. Elle semble être la cause de tout ce qui va mal chez sa fille. Il y a même un soupçon d’inceste qui se joue là dedans, c'est subtilement suggéré lorsque la mère et la fille dorment dans le même lit (c'est la scène la plus dérangeante pour moi).


Les films de Michael Haneke sont parfois dérangeants à regarder, mais toujours gratifiants pour le spectateur. Il ose aller là où les autres n'osent jamais aller. La Pianiste ne fait pas exception, c'est un film puissant, beau et choquant ... pas parfait, mais très efficace (7.5/10).

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le 21 août 2022

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lessthantod

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