La Pendaison
7.2
La Pendaison

Film de Nagisa Ōshima (1968)

En 1968, lorsque sort La Pendaison, ça fait pas loin de dix ans que Nagisa Oshima exerce ses turbulences dans la production cinématographique nippone. Une révolution qui touche surtout les sujets, le cinéaste n'hésitant pas à aborder frontalement certains thèmes tabous jusqu'alors.
Ici, il s'empare d'un fait divers authentique et le détourne pour aboutir aux problèmes qu'il cherche à dénoncer. Entre 1958 et 1962, le Japon fut le théâtre d'un fait divers macabre ; un jeune Coréen a tué deux jeunes filles puis s'est amusé à narguer les autorités policières en écrivant directement aux journaux et en devenant le point de focale des médias. Arrêté, il sera condamné à mort et exécuté par pendaison (peine de mort toujours en pratique actuellement dans l'archipel). Au-delà de la personnalité pour le moins originale de l'assassin, le fait divers va aussi provoquer un débat sur la peine de mort, et c'est là ce qui intéressera Oshima en premier lieu.
Alors, oui, la Pendaison est, en premier lieu, un film contre la peine de mort. Dans la scène d'ouverture, une voix off s'adresse frontalement aux spectateurs. Le film débute comme un documentaire qui décrit dans les détails la procédure d'exécution des condamnés. La volonté de choquer est évidente. La force d'Oshima est de ne pas s'arrêter là...


Donc, dans ce film, un Coréen condamné à mort, R., va être exécuté. Tout est mis en place, l'exécution a lieu... et échoue ! R. n'est pas mort, mais juste évanoui. Dans cette culture japonaise où tout est réglé, ce cas sort des normes et les officiels se demandent bien quoi faire. On tente de le réveiller pour le tuer à nouveau mais, lorsqu'il reprend conscience, R. se révèle amnésique.
Commence alors toute une remise en cause de la justice elle-même. Avec talent et une certaine ironie qui pourrait être comique si le sujet n'était pas aussi grave, Oshima montre une justice-spectacle, plus occupée à justifier ses actions qu'à chercher la vérité. Une vérité qui, d'ailleurs, reste toujours hors de portée, inaccessible : en assignant au récit judiciaire les procédés du récit cinématographique, Oshima le décrédibilise complètement. Incapable de comprendre ce suspect, inapte de lui faire retrouver une mémoire indispensable pour pouvoir le tuer encore, la justice essaie de mimer les crimes qui sont reprochés au jeune Coréen, elle les met en scène, et se transforme donc en spectacle.
La réalisation d'Oshima emploie toute une panoplie de procédés pour dénoncer ce côté médiatique. Les murs de la salle d'exécution sont tapissés de journaux (le journal auquel le vrai criminel avait écrit, d'ailleurs). L'attitude du condamné, absolument serein et imperturbable, s'oppose frontalement à celle des représentants de l'ordre, surexcités, hurlant, bondissant, jouant comme les acteurs d'une farce qui se déroule devant nos yeux. Une justice de clown, une parodie qui relève de la comédie. La salle d'exécution devient un théâtre. Mais un théâtre sinistre, puisque l'enjeu est bel et bien la vie d'un homme.


Que toute cette parodie de justice aboutisse ou non à l'exécution d'un homme, c'est déjà assez grave. Mais Oshima ne s'arrête pas là.
Puisque la « justice » proclame qu'il faut exécuter les criminels, encore faut-il s'entendre sur ce que l'on appelle des criminels. Et voilà que nos officiers de justice, complètement ivres, parlent de leurs exploits lors de la dernière guerre. Et le film aborde alors le thème des exactions commises par l'armée impériale, thème encore tabou au Japon à l'époque (l'occupant américain avait veillé à poser là une sorte de chape de plomb : il était interdit de parler de ces crimes). Et ce qui devait être le procès d'un criminel se transforme en procès de tout un pays.
Procès pour des crimes passés, mais aussi pour des crimes actuels. Car, finalement, Oshima aborde un autre sujet tabou : le sort réservé aux 600 000 résidents coréens vivant au Japon, des Coréens considérés comme des citoyens de second ordre par un gouvernement ouvertement raciste.


La pendaison est donc un film riche, qui montre qu'après une décennie de longs métrages, Oshima n'a rien perdu de sa force revendicatrice. Certes, le film n'est pas exempt de défauts : trop long, il a tendance à s'éparpiller un peu. A force de vouloir trop dénoncer, de vouloir aborder trop de sujets, il donne une impression de décousu. Plus court, plus recentré sur la peine de mort (on semble parfois s'éloigner trop de ce thème principal), il aurait été encore plus percutant. Mais il reste quand même un film à voir.

SanFelice
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Petits et grands écrans en 2017

Créée

le 22 janv. 2017

Critique lue 741 fois

21 j'aime

SanFelice

Écrit par

Critique lue 741 fois

21

D'autres avis sur La Pendaison

La Pendaison
SanFelice
8

Justice spectacle

En 1968, lorsque sort La Pendaison, ça fait pas loin de dix ans que Nagisa Oshima exerce ses turbulences dans la production cinématographique nippone. Une révolution qui touche surtout les sujets, le...

le 22 janv. 2017

21 j'aime

La Pendaison
Teklow13
6

Critique de La Pendaison par Teklow13

La pendaison est un film passionnant par son propos mais dont le procédé se retourne un peu contre lui-même. Ôshima y fait un procès au vitriol de la peine de mort en enfermant ses personnages dans...

le 30 avr. 2013

7 j'aime

La Pendaison
Subversion
7

Anata mo

La peine de mort existe toujours au Japon. Pourtant, dès 1968, Nagisa Oshima sortait ce film, véritable brûlot contestataire qui dépasse largement le stade du militantisme. Dès le début, le...

le 10 sept. 2017

5 j'aime

Du même critique

Starship Troopers
SanFelice
7

La mère de toutes les guerres

Quand on voit ce film de nos jours, après le 11 septembre et après les mensonges justifiant l'intervention en Irak, on se dit que Verhoeven a très bien cerné l'idéologie américaine. L'histoire n'a...

le 8 nov. 2012

256 j'aime

50

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

218 j'aime

20

Chernobyl
SanFelice
9

What is the cost of lies ?

Voilà une série HBO qui est sans doute un des événements de l’année, avec son ambiance apocalyptique, ses flammes, ses milliers de morts, ses enjeux politiques, etc. Mais ici, pas de dragons ni de...

le 4 juin 2019

214 j'aime

32