Et oui, il serait bon de le rappeler mais le cinéma montre, évoque, suggère, représente la réalité, mais il n'est pas la réalité même. Alors à quoi bon représenter Jeanne d'Arc dont le propre n'était pas de jouer la comédie comme disait Robert Bresson ?


Là, je vois juste une femme en train d'en faire des tonnes, de baver, de rouler des yeux, de pleurer avec les yeux exorbités la plupart du temps...Cette femme ondule sévèrement de la toiture, voilà tout ce que je me suis dit; dire que l'actrice est touchée par la grâce, qu'elle incarne véritablement Jeanne d'Arc au point de donner au film une dimension supra-sensible, c'est vraiment faire passer le film pour ce qu'il n'est pas et confondre le supra-sensible avec le sur-sensible. Désolé mais je vais pas m'émouvoir devant ce cabotinage sans cesse mis en avant par des gros plans. C'est vulgaire et ça l'est d'autant plus que ce cinéma là se croit profond et gracieux.


Schopenhauer plaçait la musique au sommet de tous les arts, comme la représentation la plus adéquate de l'essence intime du monde, pourquoi ? Parce que la musique n'a pas besoin du monde sensible, des phénomènes, de ce qui nous entoure pour se faire, elle a uniquement besoin d'un instrument et d'une volonté, elle ne représente rien d'autre que la Volonté. Ce qui n'est pas le cas des autres arts qui représentent et décrivent la réalité du monde sensible (peinture, littérature, théâtre...) et de ce fait, établissent une forme de dialectique entre des valeurs, des formes pour accoucher d'une dimension extatique. Le cinéma, quant à lui, est à l'opposé de la musique, c'est celui qui d'ailleurs convoque tous les arts ( musique, littérature, peinture, architecture...) et qui, de part sa nature, représente le plus adéquatement, non pas l'essence du monde, mais les phénomènes. C'est cette convocation de presque tous les autres arts qui fait la puissance du cinéma mais qui, en contre partie, le fait tomber bien souvent dans du spectacle : au lieu de montrer, il démontre, au lieu de représenter, il sur-représente bien souvent.


Le cinéma, en tant qu'art, est comme piégé par son propre matériau : le caméra montre le monde et parce qu'il le montre, il se doit de faire vrai. Lorsque nous allons voir un pièce de théâtre nous pardonnons plus facilement le cabotinage des acteurs qu'au cinéma, car nous savons que ce qui se déroule sur la scène est faux, délibérément faux, nous savons qu'on a devant nous des acteurs mis en scène, on accepte d'être trompé. Ce n'est pas le cas du cinéma où tout doit faire "vrai", il faut qu'on y croit, du moins durant le film, le réalisateur compte sur le profession de foi du spectateur pour réaliser son film. Certes il y a des acteurs, une mise en scène tout comme au théâtre mais tout ceci est caché, il ne faut pas que cela se voit, il faut que le spectateur croit en la réalité de ce que la caméra montre. Aussi comment pourrai-je être ému par ce film dont la réalisation fait tout pour montrer non pas Jeanne d'Arc mais une actrice qui la joue ?


C'est pourquoi d'ailleurs les meilleurs films sont, à mon sens, les grands films à spectacle (par leur puissance) ou les documentaires (car ici ils se contentent de montrer la réalité, sans plus, ils n'ont pas besoin de faire vrai, de paraître authentiques vu qu'ils le sont).
Lorsqu'il s'agit d'évoquer, de suggérer une dimension métaphysique, le cinéma n'a certainement pas la puissance des autres arts, piégé par son contenu, à savoir le déploiement des phénomènes à travers la caméra, il ne peut que parodier cette dimension, la surjouer. Comme c'est le cas de ce film et de bien d'autres (par exemple le monologue de Kurtz à la fin d'Apocalypse Now, qui se veut "tro profond" et qui se base aussi sur la performance d'un acteur).

Gahisto
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le 2 avr. 2018

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