J'ai toujours pensé le cinéma proche du rock'n'roll. Deux arts trouvant leur force, leur intérêt, leur beauté dans l'imperfection. Deux arts collectifs au service d'une même vision, un gigantesque exercice d'équilibriste où des éléments discordants peuvent pourtant mener au chef-d'oeuvre. Film bancal s'il en est, "La nuit du chasseur" colle parfaitement à cette description, puisant justement son aura dans ses fausses notes.

Seule et unique incursion du comédien Charles Laughton à la mise en scène, cette adaptation du roman de Davis Grubb ressemble à une véritable tour de Babel, assemblant divers pièces de puzzle n'ayant rien à voir entre elles pour aboutir à quelque chose d'unique, d'extrêmement fragile, prêt à s'effondrer à chaque instant mais gardant finalement le cap grâce aux immenses talents réunis sous la direction d'un novice parfois incertain mais n'hésitant pas une seconde à accepter les suggestions de ses illustres collaborateurs.

S'il l'on retrouve effectivement un pot-pourri d'influences en tous genres, allant de Mark Twain à D.W. Griffith en passant par Murnau et Steinbeck, le tout baignant dans une atmosphère directement héritée du conte, "La nuit du chasseur" ne ressemble à rien d'autre, reste une oeuvre hors du temps, inclassable et impossible à refaire aujourd'hui, un instant de grâce suspendu dans la mémoire des spectateurs.

Tour à tour effrayant, drôle ou émouvant, "La nuit du chasseur" est avant tout le cauchemar de deux orphelins fuyant des adultes indignes de confiance et représentant le danger, plongeant dans un univers fantasmagorique d'une beauté plastique encore inégalée, poursuivit qu'ils sont par une incarnation du mal aussi séduisante que fourbe, grand méchant loup finalement bien démuni lorsqu'il se trouve face à un adulte capable de lui répondre. Une figure inoubliable dont Robert Mitchum prête sa présence animale, forcé qu'il fut par Laughton d'utiliser une palette de jeu qui n'était pas la sienne. Face à lui, le reste de la distribution n'est pas en reste, que ce soit le jeune Billy Chapin qui disparaîtra de la circulation et qui restera à jamais muet sur sa participation au film, ou Shelley Winters, à la fois pathétique et tragique, ou encore Lillian Gish, parfaite incarnation de la bonne fée chère à l'univers des contes.

Sublime livre d'images aux multiples ruptures de ton et niveaux de lecture, tenant aussi bien de la comptine que du thriller ou de la critique sociale, pointant méchamment du doigt le fanatisme religieux pour lui préférer la bonté humaine et la force du récit, "La nuit du chasseur", film maudit et incompris à sa sortie, reste aujourd'hui un des plus beaux longs-métrages de la création, objectivement imparfait et branlant mais humainement immaculé, propre à vous marquer pour toute la vie.

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le 18 oct. 2013

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Gand-Alf

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