Le film s'ouvre sur le féminicide qui sera au coeur de l'enquête menée par la police judiciaire au long du film. Le rythme de cette introduction laisse un sentiment d'étrangeté car le spectateur est propulsé au milieu d'une froide scène d'immolation, qui ne bénéficie pas forcément d'une esthétique irréprochable. On découvre ensuite la brigade de la PJ qui sera en charge de l'affaire et les deux personnages principaux du récit : le chef de l'unité interprété par Bastien Bouillon et Marceau interprété par Bouli Lanners. Le duo d'acteurs et de personnage fonctionne extrêmement bien : l'un est méthodique et froid, l'autre est authentique et engagé. Le récit ne s'arrête pas sur les autres officiers mais le scénario permet intelligemment au spectateur de respirer quand Dominik Moll fait le choix de montrer le réel de la vie d'une cellule de la PJ : des rapports à rédiger, encore et encore, des photocopieuses qui ne marchent pas, des nouvelles recrues enthousiastes qui se heurtent au cynisme des plus anciens lors de la pause déjeuner... Ces moments de répit sont bienvenus et, grâce à une bonne écriture, dégagent dans leur ensemble une honnête sympathie. Toutefois certains axes, comme le mariage de Marceau, paraissent davantage superflus.

A côté, la tension de l'enquête est particulièrement réussie malgré le parti pris audacieux d'annoncer dès le carton d'introduction la non-résolution de l'affaire. Cela est permis par une écriture excellente des dialogues, que ce soit lors de l'annonce du décès aux proches ou lors des différents interrogatoires. La justesse de cette écriture confère un air de documentaire à certaines scènes et sert de point d'ancrage aux principaux messages du film. Il faut ici saluer l'effort incroyable qui est fait pour ne jamais tomber ni dans la vulgarité ni dans le mélodrame malgré la complexité du sujet choisi. Par conséquent, le message est transmis au spectateur avec une efficacité redoutable. Par le biais des interrogatoires des différents suspects, ce qu'on pourrait croire extraordinaire tombe sous les yeux du spectateur comme un ordinaire écoeurant, abject. Les scènes fortes du film sont celles qui contiennent ses plus belles répliques. Tout d'abord, lors de l'ultime interrogatoire de l'amie de la victime qui, malgré tout le courage dont elle a fait preuve au préalable, craque finalement lors d'une nouvelle question de l'officier sur une relation qu'entretenait son amie. Comment comprendre un tel acharnement sur son amie alors que son sexe suffirait de mobile ? Ensuite une scène postérieure à l'enquête lors de la dernière partie du film où l'officier-chef la rejoindra dans le sens opposé en indiquant que ce qui la détruit dans cette affaire, c'est la plausibilité que n'importe quel suspect, donc que tous les suspects, l'aient tué. Clara était la femme que tous les hommes ont tué.

La dernière partie du film se situe donc postérieurement à l'enquête, lorsqu'une nouvelle juge d'instruction décide de relancer l'affaire classée sans suite. Cette dernière partie peut sembler légèrement superflue et artificielle en comparaison au corps du film mentionné ci-dessus. Elle a toutefois deux mérites. Premièrement, elle introduit deux personnages féminins qui en peu de temps réussissent à impacter le récit par leur caractère et leur détermination ce qui vient d'autant plus appuyer la profondeur du film. Nadia, une jeune recrue de la PJ, apportera même une dernière pierre au mur des répliques cinglantes du film. Deuxièmement, le développement de l'idée qu'il y aura toujours une enquête qui se détachera des autres dans la vie d'un enquêteur et qui le hantera, idée qui peut pourtant sembler cliché, a le mérite d'être ici traité ludiquement. En effet, il est curieux que le spectateur se mette lui aussi à croire à la résolution de l'enquête dans cette dernière partie et intéressant de questionner le mécanisme de cette volonté irrationnelle de calquer sur n'importe quel suspect le sceau de coupable, simplement pour mettre fin au film ou, dans la vie réelle, à l'enquête. Et le spectateur se retrouve bloqué dans le même puits sans fond que Marceau et son chef...

Alsh74
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le 13 sept. 2022

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