Le polar, genre franchouillard.

Quelle belle façon de commencer, de donner envie mais il faut bien avouer que le thriller surtout policier, c’est quelque chose de franchement courant en France. Preuve étant qu’il fait partie du trio de tête des clichés du cinéma français, car après les comédies raciste, les drames cannois chiant et bizarre, il n’est pas rare que certains spectateur (bien inconscients) nous sortent aussi les téléfilms policier pour grand-maman, de préférence tous les midis sur M6. Mais ça serait bien oublier l’essence même de ce type de cinéma, qui est le genre. Car quoi ? Après l’interlude Cannet (Arthur quoi vous dites ?) je vais me remettre à parler de genre français ? Et comment, et avec un bien meilleur exemple qu’Ogre loin s’en faut par ailleurs, qui pourtant prédestinait à rentrer dans le moule du cliché précédent, sans omettre son réalisateur, aussi cinéphile que littéraire et de qui, je l’avoue, je ne savais grand-chose ; ou même que du synopsis, entre l’incessante histoire sans fin misérabiliste et le tournant politique, wokiste et féministe, jusqu’à plus-soif diront les plus pressés. Oui mais voilà, il y avait une avant-première, donc c’était le bon moment pour laisser de côté mes stéréotypes pour tenter ce morceau, et comme je vous l’ai dit, c’est du genre français techniquement donc haut les cœurs on verra bien ce que ça donne, les acteurs sont sympas, l’affiche fait bien envie, donc bon, tentons.


Je ne vais pas passer par quatre chemins, j’ai adoré la nuit du 12, et je dirai même plus, j’ai été grandement surpris par le métrage. Autant y aller méthodiquement, même si je ne sais pas dans quel ordre me lancer. Disons que ce qui frappe aux yeux devant le nouveau Dominik Moll, c’est la manière qu’il a d’embrasser les poncifs du genre auquel il s’attèle. Sans pour autant rendre le métrage mauvais. On est immergé dès les premières minutes dans une fête souhaitant une bonne retraite à un agent de la PJ de Grenoble, dont le successeur n’est autre que notre protagoniste installant à la fois, une fausse bonne ambiance car, sous l’égérie de la blague et la bonne franquette, contrastant avec un Bastien Bouillon presque fantômatique, froid et surtout monolithique. Puis, tard dans la nuit, on fait irruption à une fin de soirée entre jeunes. L’une d’entre elle est sur le départ malgré les (ironiques) protestations de ce qui s’avérera être sa meilleure amie. Puis, dans un traveling bien trop étiré, cassant totalement la dynamique de fête, caressant un chat, symbole revenant de nombreuses fois dans l’intrigue, et, pour l’anecdote, fruit du hasard qui renforce à la fois la tension et la symbolique aussi simple que cruelle sur le hasard amenant à la paranoïa, fruit des différents suspects. Je n’en dirai pas plus mais c’est bien ici qu’on atteint l’inexorable point de non-retour. Mais, c’est aussi là, qu’on peut résumer les différents axes vers lesquels se tourne Dominik Moll et en particulier un très mis en avant et plus que saugrenu : la comédie. En effet, autant les aspects ironiques qui ne parsèment pas que le début du métrage, on est en phase avec de vrais moments comiques. Passant surtout par le dialogue, il sert à montrer le mal-être lancinant des protagonistes (surtout pour Bouli Lanners) et les situations, dénonçant leur ridicule, mais surtout leur part d’humanité. Pour autant, on reste intégralement dans le domaine du tragique, sans désamorcer l’horreur de la situation ou la détresse des différents personnages. Je dirai même que ça assène d’autant plus le marteau qui est adressé aux spectateurs et qui rend encore plus glaçant des passages obligés comme l’annonce du décès de la famille, ou encore apporter une mélancolie voire poésie inespérée comme lors d’un saut temporel en 2019. Mais là où l’aspect comique fait le plus mouche, c’est avec les différents suspects. Chacun semble pire que le précédent, installant parfois un malaise dans des situations presque surréalistes, comme avec un mauvais rappeur, ce qui est plus que propice au rire. Je parlerai notamment d’une scène mettant en scène le nouveau venu Frédéric Pierrot (qui était le jeune dans l’extraordinaire Madre) où ce dernier rigole nerveusement en réaction à une PJ sur les nerfs, presque inhumaine de froideur mais qui l’humanise d’autant plus, tellement qu’on finit par se demander si le principal vecteur d’avancement dans l’enquête, n’est pas de l’ordre du coupable final, mais de prendre la température d’une brochette variée de personnalités, dont le point culminant devient presque horrifique dans sa connerie. Bref, bien loin de la simple médisance face à un crime inexpliqué et des parents en pleur, Dominik Moll met plutôt à profit cet humour pour crédibiliser ses scènes et amplifier la noirceur de la situation, incarné par le mal-être profond de Bouli Lanners qui finira lui-même par laisser une devinette inexplicable.


Comme vous le verrez devant le métrage, ce qui est horrible avec cette enquête, ça n’est pas qu’aucun des suspects soit le coupable, mais que tous semblent assez tordus pour le faire, qu’il n’y en n’ait pas un pour rattraper l’autre. Domink Moll n’a pas eu l’intention de réaliser à proprement parler une œuvre dite « féministe » mais savait qu’inconsciemment, en prenant précisément cette partie du recueil de rapports « 18.3 une année à la PJ » qu’il allait proprement devoir se confronter au sujet, et proprement au dit féminicide. Quand on ne connait pas l’identité, les motivations du criminel c’est bien naturel de chercher à comprendre pourquoi, avoir agi d’une manière aussi cruelle. Alors tout y passe, vengeance amoureuse, « aventures » trop sensationnelles, fréquentation malsaines, malchance pour quelque chose de plus symbolique et global ? On en sait et saura rien. Chaque suspect explore chacune de ces hypothèses sans pour autant rentrer dans un proto film à sketch tant on doute du moment où l’un d’entre eux rentrera à nouveau dans le récit mais aussi car elle amplifie la spirale des deux officiers de la PJ dont l’un, pour se défouler, va littéralement pédaler en rond sur un terrain pour cyclistes. Les femmes elles, ne sont pas incriminées mais constamment montrées comme victimes, voir vecteur de changement de direction pour l’enquête, même si cette première vision se trouble quand on se demande si le meurtre n’était pas totalement mérité (la commu SC va me tuer ;-;) ou vis-à-vis d’une femme d’un homme violent, pas forcément en accord avec les premières accusations de Bouli Lanners, ou quand la meilleure amie de la défunte se voit reprochée son manque de clarté dans son témoignage. Pourtant, elle finira par dévoiler ce qui est la plus terrible vérité aux policiers car aussi la plus probable et humaine de tout le récit dans une séquence presque glaçante et qui rend le métrage beaucoup plus large et intelligent qu’on pouvait l’espérer.


Pour finir dans les clichés plus ou moins démontables, je voulais revenir sur la manière dont on pouvait le plus attaquer le métrage : son aspect très écrit. En effet, il faut bien avouer que ce qui marque particulièrement dans le récit, c’est sa fluidité d’écriture. Le tout fait très naturel et m’a presque fait penser à un jeu improvisé ; sans pour autant tomber dans du naturalisme de façade. Dominik Moll réussit en réalité parfaitement à doser des paroles voire actions crues et sincères, où la spontanéité n’existe pas malgré qu’elle soit pleinement ressentie. Ajoutez à cela des acteurs tous plus brillants les uns que les autres et vous obtenez facilement un film plus que caractériel dont les ressorts scénaristiques, pourtant très simples sont compensés par un large panel de situations montant graduellement à la fois en extravagance mais aussi en doute de trouver pour de bon le meurtrier. Pourtant si les dialogues peuvent paraitres plus cinglants les uns que les autres tout en permettant au métrage de garder une constance pour ne pas là aussi se trouver dans un proto film à sketch, il en reste que c’est aussi par la mise en scène que l’on retrouve principalement les enjeux humains de la Nuit du 12. Ne serait-ce que les plans fixes montrant Bastien Bouillonner de colère et d’impatience à une scène de rêve en surexposition, démontrant à la fois la conclusion probable vue précédemment, qui se poursuivrait par un: tous les hommes l’ont tué, que par la peur de l’officier d’être en partie responsable de la non avancée de l’enquête voir du désespoir des parents. Le tout se synthétise alors dans une des plus belles séquence de l’année, où, alors que 3 ans sont passés, que le protagoniste tente quelque chose d’inespérée, pour finalement en revenir à l’os, au désespoir humain, et surtout, à reconsidérer comment tout le monde leurs manque de recul, à vouloir inexorablement éviter le deuil d’une réponse satisfaisante. Le tout accompagné par UNE nouvelle officière, arrivant néanmoins à remettre l’enquête au gout du jour grâce à son recul pour nous amener à évoluer, comme Bastien Bouillon décide de changer ses habitudes, d’y voir de nouvelles perspectives, et finalement, trouver une conclusion satisfaisante, malgré que tout destinait qu’il n’y en n’aurait pas.


La Nuit du 12 se démarque de son genre en adoptant une écriture d’une humanité déconcertante, toujours en quête de réponse pour l’avenir de ses personnages plus que de l’enquête en elle-même. Le tout permet un investissement quasi-immédiat du spectateur grâce à une structure solide mais surtout servant à un fond extrêmement dense où chacun y verra son bonheur. Mais ce bonheur se conjugue aussi avec ses interprètes, tous plus brillants les uns que les autres et qui servent à donner corps à cette histoire où la remise en question quasi permanente déploie sa dose d’humanité qui questionne le spectateur, et je dirai même, le hante encore longtemps après la projection.

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le 14 juil. 2022

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