La Mission
6.2
La Mission

Film de Paul Greengrass (2020)

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La sortie de News of the World sur Netflix, dernier film du cinéaste britannique Paul Greengrass, le 10 février, suscite l’attention. En adoptant le roman de Paulette Jiles, il s’agit pour le réalisateur, plutôt habitué au thriller d’action, d’une première incursion dans le western, tout en étant une occasion de retrouver Tom Hank devant la caméra, sept ans après Capitaine Phillips. Au-delà de la curiosité que pourrait constituer la découverte du style réaliste et quasi documentaire de Greengrass marié au genre, le western établit un terrain de jeu adéquat à l’épanouissement de la thématique politique perceptible dans l’œuvre de l’auteur. L’époque elle-même d’ailleurs induit la politique. Que peut en effet nous offrir le genre à l’ère Trump ? La Mission est un élément de réponse à cette question, que nous essayerons ici de mettre en exergue.


Qu’on ne s’y trompe pas : le western a toujours su parler de son époque subtilement. Aussi, les différents éléments ici distillés ne font pas exclusivement écho à l’ère Trump, le genre ayant une portée universelle significative et des thématiques caractéristiques depuis sa naissance.

Conscient de cela, le cinéaste ancre son récit en plein Texas, cinq années après la fin de la Guerre de Sécession. Les fractures béantes de la division du pays sous Trump ressortent ici à l’extrême. Cet État incarne de fait le sort de beaucoup d’autres anciens membres de la Confédération : humilié par le Nord, auquel il s’oppose sur la question de l’esclavage, il n’entend guère se laisser dicter son avenir sur un territoire qu’il a conquis lui-même – au détriment des populations amérindiennes. Comment ne pas voir à travers cette population texane du début des années 1870, certaines similitudes avec l’électorat typique de l’ancien président américain : à savoir «  les classes moyennes inférieures blanches et non diplômées »1 ? On retrouve chez eux ce sentiment d’humiliation et de trahison, l’importance de la question raciale, et une certaine pauvreté économique liée à la désindustrialisation.
Ce parallèle avec l’Amérique actuelle trouve son paroxysme dans la micro-société autonome du Comté d’Erath, qui constitue une dérive envisageable de l’isolationnisme (doctrine politique d’ailleurs caractéristique de Trump) : contrôle des frontières du comté, autorisation unique de la presse locale, négation de la démocratie à travers la figure du personnage tyrannique qui prétend lutter pour le peuple, … La violence, thème incontournable du genre, se manifeste dans La Mission comme une conséquence des fractures du pays. Le parallèle avec l’actualité, certes peu subtilement délivré dans le film, n’est pas grossier pour autant, et fort heureusement Greengrass évite toute condamnation manichéenne du Nord ou du Sud en s’intéressant à la fracture des êtres qui composent le métrage.


Contre toute attente, le film s’inscrit dans une veine plutôt optimiste propre au western classique.
Cette vision s’exprime par la réponse donnée aux divisions. La Mission est une histoire à échelle humaine plus qu’un portrait de l’Amérique, bien que les deux s’imbriquent. C’est le poids des plaies du passé que filme le réalisateur. Pour le capitaine Kidd, joué par Tom Hanks, c’est à la fois celui des atrocités qu’il a commis pendant la guerre et celui du deuil de la mort de sa femme. Pour Johanna, incarnée par la jeune Helena Zengel, son fardeau est la perte de ses deux familles : l’allemande à laquelle elle a été enlevé par les indiens, et l’indienne à laquelle elle a été enlevée par les autorités. Au fur et à mesure de leur périple une réelle relation filiale de tendresse se tisse entre les deux personnages. Bien que la fin soit un poil convenue, elle est explicite : enterrer la hache de guerre, et s’affranchir du poids de son passé, passe par la rencontre de l’autre. Ce remède aux divisions passe également par le thème de la presse, dont capitaine Kidd se fait l’incarnation à travers sa profession de rapporteur public. Ce métier, peu représenté dans le genre, consiste à délivrer l’information de ville en ville. Tom Hanks incarne ainsi un conteur d’histoire, sorte de troubadour westernien. Sa figure vient prôner la liberté de la presse, thème éminemment actuel à l’époque des Fake News. A l’image du cinéaste, il captive par des histoires plus ou moins exotiques qu’il raconte au public, et, par celles-ci il crée du lien et permet à chacun de découvrir l’autre. Ainsi, l’espoir qui conclut le film s’inscrit plus dans un héritage classique du genre que dans une veine crépusculaire.


Il convient de discuter cet héritage. Tout d’abord, le métrage ne nie pas l’importance du passage du western crépusculaire dans le genre (comment le pourrait-il?). L’esthétique crépusculaire elle-même est perceptible dans quelques scènes de nuit dans la ville. De même, la violence brute et réaliste, présente notamment dans une superbe scène de fusillade, est un aspect très présent dans le western contemporain hérité du crépusculaire. Cependant, bien qu’il fasse fi de tout romantisme, le film semble renouer avec le classicisme. Au-delà du message plein d’espoir et d’humanité, celui de la rédemption déjà évoqué, cela se traduit par le style. Conscient de l’héritage dans lequel il s’inscrit, Greengrass troque son style caméra épaule, que l’on retrouve dans les scènes d’action, pour une mise en scène plus académique qui manque malheureusement de flamboyance et d’ingéniosité. La partition musicale de James Newton Howard va dans le sens de ce classicisme. Pour finir, comme ne pas penser au père du western, John Ford ?
Ne pas convoquer l’immense cinéaste est presque inévitable lorsqu’on parle du genre, mais ici la filiation paraît évidente. Rappelons à ce titre que le long métrage s’inscrit dans la lignée des films de convoi, sous-genre initié par La Chevauchée fantastique (1939). La figure de Johanna, enlevée à sa famille biologique par les indiens, fait écho à la Prisonnière du Désert (1956) ou encore aux Deux cavaliers (1961). L’aspect protecteur et paternel du capitaine Kidd rappelle quant à lui le personnage de John Wayne dans Le Fils du Désert (1948), qui trouve sa rédemption dans le sauvetage d’un jeune enfant. Plus globalement, l’héritage fordien se trouve dans la thématique familiale. Si l’optimisme est propre au classicisme, il est à nuancer chez Ford, car la composante majeure de son œuvre est plutôt la mélancolie. De fait, la famille est ce lieu de bonheur dont le héros fordien est exclu malgré lui, comme les personnages principaux de La Mission le sont. Mais, à la différence du héros fordien qui parfois cherche un substitut à cette famille perdue dans la camaraderie, eux finissent par fonder leur nouvelle famille.


News of the World n’incarne d’aucune façon un renouveau dans le genre. Il n’en a d’ailleurs pas l’ambition, coincé quelque part entre une tendance réaliste du genre plutôt contemporaine et un classicisme hollywoodien, et se contente surtout de raconter une histoire humaine à fonction didactique, tout en dressant un parallèle avec l’Amérique de Trump. Il fait également le choix de nous offrir ce qu’on attend d’un western : les grands espaces (que l’on regrette de ne pas pouvoir admirer sur grand écran), de bonnes scènes de fusillades, une brutalité, un certain contexte historique ... Malgré son académisme et son ton un peu convenu auxquels s’ajoute un léger ventre mou dans la narration, La Mission permet aux amateurs du genre de voguer sans déplaisir, et, qui-sait, il attisera peut-être la curiosité des néophytes pour un genre bien trop oublié.


Cette critique est extraite d'un article intitulée " Considérer le western aujourd'hui / Sur La Mission de Paul Greengrass " que j'ai écrit pour le site Super Seven. Vous pouvez le retrouver en entier à ce lien

BenjBray
7
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Créée

le 14 avr. 2021

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Colonel  Kurtz

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