La Mauvaise Éducation par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans une institution religieuse franquiste, au milieu des années soixante, deux adolescents Ignacio et Enrique se découvrent une passion amoureuse l'un pour l'autre. Ici la discipline exercée notamment par le Père Manolo est très stricte voire d'une sévérité absolue. Ce religieux pédophile remplissant les fonctions de professeur de lettres voue un amour exclusif envers le jeune Ignacio et abuse parfois de celui-ci. Leurs études terminées, les deux adolescents se perdent de vue pour se retrouver brièvement dix ans plus tard. Chacun pratiquant un métier artistique puisque Ignacio est devenu acteur et Enrique cinéaste, ils se rencontrent à nouveau en 1980 par un concours de circonstance. L'acteur se présente auprès du cinéaste en mal d'inspiration afin de lui proposer de figurer dans son prochain film. Mais ce troublant personnage est-il vraiment l'Ignacio de sa jeunesse? En tout cas il influe sur lui afin que l'intrigue de ce futur film retrace l'histoire de leur enfance passée dans l'institution. Enrique en accepte le principe. Les trois comparses de cette frange de vie vont devoir se retrouver... et les comptes se règler. L'un d'entre eux devra disparaître.


Pedro Almodovar nous a toujours habitués à des sujets surprenants, graves et réalistes. Sa manière de traiter les problèmes de société a souvent dérouté, toujours captivé, nous touchant au plus profond de nous-mêmes. C'est pourquoi je considère ce maître du cinéma espagnol comme le digne successeur de Carlos Saura. Cette oeuvre est certainement la plus personnelle du réalisateur. Certains la considéreront comme un pamphlet anti-clérical mais je pense que ce sujet sert surtout de prétexte à développer le contexte politique des années soixante en Espagne, prisonnière de l'intolérance, de l'obscurantisme et de la répression amenée par la dictature du Général Franco. Cette période fut vécue par Pedro Almodovar au sein de cette institution tenue par les Jésuites. Epris de liberté, il explose dans ce film, nous ouvre son coeur en nous faisant part de l'objet de sa révolte mais aussi de son apaisement. C'est pourquoi il prend soin de nous décrire deux époques différentes de l'Espagne dans ce film "tiroir": la répression que l'on abat et la liberté pour laquelle on se bat. L'homosexualité de ces deux adolescents s'aimant en cachette d'un amour fou, persécutés par les institutions représentées par l'Eglise et le Père Manolo, est tout un symbole. En effet cette dictature politico-religieuse n'empêche pas ses dignes représentants de commettre les pires exactions en utilisant toutes formes de violences. Le contraste entre les opprimés et les oppresseurs est ici saisissant. D'un côté,un amour tendre et naturel et de l'autre un rapport obsessionnel, exclusif et brutal. Après les nuages, les éclaicies prennent le relais au prix de luttes sur fond de douloureux souvenirs: c'est la deuxième partie de cette histoire. Le Père Manolo est toujours présent, il a vieilli mais ses défauts sont toujours prêts à ressurgir à la moindre occasion. Par cette image, le réalisateur nous décrit, à sa manière, une société à l'équilibre toujours instable, dans laquelle il faut se battre autant pour obtenir sa liberté que pour la conserver.


Le "climat" des films de ce réalisateur atypique est si particulier que cet artiste ne peut laisser indifférent sur les sujets qu'il aborde. Dans le cas présent il prend appui sur un grand esthétisme de la pellicule et sur des dialogues aussi percutants qu'émouvants. Les acteurs sont tout simplement remarquables dans leurs rôles ambigus. Gael Garcia Bernal crève l'écran dans la beauté de son personnage troublant, sensible et énigmatique. Fele Martinez et Javier Camara, eux aussi, nous captivent par la justesse et la finesse de leur interprétation. Tous ces acteurs donnent un éclat sans pareil à cet album contenant les plus profonds souvenirs d'une enfance tourmentée.


N'hésitez pas à vous laisser guider sur les chemins de cette oeuvre grave et pleine de souvenirs enfouis, lesquels sont prétextes à une magistrale analyse de l'évolution de la société telle que la dépeint Padro Almodovar. Au -delà d'un plaidoyer saisissant et justifié en faveur de l'homosexualité, ce film nous délivre un véritable hymne à la lutte pour la liberté. Pour tout cet ensemble de valeurs, je considère que ce film est un véritable chef-d'oeuvre.

Grard-Rocher
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le 1 déc. 2013

Modifiée

le 27 nov. 2013

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