La Liste de Schindler... J'avais fini par me décider à affronter ce film qu'on m'avait décrit comme un grand classique. Il faut dire que ce long-métrage est long. 3h. Et il faut dire qu'une amie avait commencé par me dire « Oh moi je ne regarderai jamais ce film, je ne veux pas voir autant de torture ».
Et si elle a dit ça, c'est parce qu'elle n'avait pas vu ce film. Et moi j'ai bien fait d'oser.

Un thème qui fonctionnera toujours : la 2e guerre mondiale, les nazis, l'horreur.

Voilà ce qui pouvait annoncer de la torture : l'histoire se passe en plein milieu de l'horreur, au début des années 1940, en Pologne. La 2e guerre mondiale et l'atrocité de la Solution Finale. Cette atrocité qui fait tant parler d'elle et qui fait pleurer dans les chaumières. Un thème qu'on pourrait qualifier de facile pour toucher les spectateurs et la critique.

Mais si Steven Spielberg a remporté 7 Oscars en 1994, dont celui du meilleur film, du meilleur scénario, du meilleur réalisateur et de la meilleure musique, ce n'est pas simplement parce qu'il a choisi un sujet « facile ». Ses trois heures de film sont trois heures d'images bien cadrées, de dialogues bien écrits et de scènes bien enchaînées. Le scénario assez complexe se fait comprendre sans difficulté et l'on arrive à identifier chacun des nombreux personnages de cette trame historique.

D'autant que si au premier abord le thème de la Shoah paraît facile, il est en fait un thème risqué. Le danger de tomber dans le pathos pur, d'être purement binaire (les méchants Allemands et les gentils Juifs) ou de ressasser une rancœur sans avenir est intimement lié au sujet nazi. Il faut réussir à montrer une réalité qu'on ne doit pas oublier, sans l'embellir ou l'accentuer, sans y inclure une vision trop personnelle et subjective.

Cet aspect « documentaire » nécessaire aux films souhaitant traiter historiquement de la 2e guerre mondiale, Steven Spielberg le rend par le noir et blanc et l'utilisation récurrente des images filmées la caméra à l'épaule. Malgré la part d'invention nécessaire à l'obtention de son scénario, adapté de l'histoire vraie de Schindler, Steven Spielberg livre un film fondé sur des faits concrets et filmé avec l'objectif d'un réalisme frôlant le témoignage. Car il a choisi ce thème par engagement et non par facilité, comme le prouvent la création de la Fondation de l'Histoire Visuelle des Survivants de la Shoah suite au succès du film ou le fait qu'il ait refusé de toucher un salaire en tant que réalisateur, estimant que ce serait de « l'argent du sang ».

Toujours est-il qu'un tel film fait du bien, parce qu'il montre le mal que la société humaine a pu engendrer. Traiter de la 2e guerre mondiale et de l'horreur nazie aura toujours l'avantage de garder notre mémoire consciente de ce qui a été et de ce qui ne doit plus jamais être. Et c'est peut-être même encore mieux que « la Liste de Schindler » soit un film américain, en ce que, de l'autre côté de l'Atlantique, la réalité de l'Holocauste se fait moins concrète.

Ce n'est pas de la torture, c'est de l'éradication froide et calculée.

Je m'attendais à pleurer toutes les larmes de mon corps pour ces millions de vies détruites, armée de mon paquet de mouchoirs devant mon écran, mais malgré les morts récurrentes l'émotion ne venait pas. Aussi atroces et injustifiées soient-elles, les scènes de cruauté nazie ne laissaient pas de place aux sentiments. Et je ne crois pas que cela soit dû à une habitude quelconque de voir des films où la violence n'est pas cachée. Non, Steven Spielberg a eu l'intelligence de rendre dans son long-métrage la froideur du système nazi. Froideur qui a permis l'éradication de tant de vies, parce que justement la suppression de celles-ci n'engendrait aucune émotion.

L'émotion revient quand l'ère nazie prend fin, quand l'humanité reprend le dessus. C'est aussi simple que cela et c'est sûrement là la plus grande force de ce film. Vous pouvez voir des centaines de personnes mourir à l'écran en trouvant cela injuste, terrible, insupportable mais votre cœur ne battra jamais tant que lorsque des humains se comporteront en humains. Je ne veux pas dire par là que les nazis n'étaient pas humains, ce serait trop facile, mais ce que j'appelle ici « humain » se rattache à ce qu'être humain c'est être empli d'émotions qui ne se limitent pas à la haine, la rage et la colère.

Les personnages sont très bien joués. Certains rôles sont même tenus par des survivants de la Shoah. Beaucoup se révèlent très touchants. D'autres paraissent presque faux, mais il ne s'agit pas d'une faute de jeu d'acteur, ce sont seulement des personnages extrêmes dans des situations extrêmes, qu'il est donc difficile de comprendre. Car l'identification à un tyran nazi ou une victime juive n'est pas naturelle.

L'industrie au cœur du système nazi.

L'industrie a probablement connu ses plus grands extrêmes avec le système nazi. Sous le IIIe Reich, elle est devenue industrie exterminatrice, au cœur du processus d'élimination des races impures.

Toutes les caractéristiques de l'industrie se retrouvent dans les camps d'extermination et de concentration, à commencer par la nécessité d'une production. Cette production peut être celle de cadavres gazés et de dents en or. Elle peut être dérisoire ; comme le souligne Primo Levi dans Si c'est un homme quand les prisonniers triment pour déplacer quelques barres de métal, effort qui leur prend des jours mais à l'effet négligeable. Dans un sens, il est fait en sorte que les résultats de cet effort soient négligeables car la sensation d'accomplissement d'une tâche utile est source d'humanité. Toujours est-il qu'il y a production. Les prisonniers sont sélectionnés à leur arrivée, il ne faut garder que ceux capables de produire, et ceux qui détiennent une compétence particulière détiennent l'avantage : la production reste le but premier.

L'industrie implique l'ouvrier. L'industrie nazie implique l'ouvrier uniformisé à l'extrême. La figure de l'ouvrier est celle d'un individu non individualisé. Au sens strict, un ouvrier ne se distingue d'un autre que par la fonction qu'il occupe. Avec les nazis, cette caractéristique de l'industrie devient uniformisation de masse. La perte de l'identité est totale et l'ouvrier ne se définit plus que par sa fonction, au point que les erreurs de transports apparaissent certes comme des troubles dans l'ordre prévu, mais, que le train provienne de la Pologne profonde ou du nord de la Grèce, cela ne change rien.

Les Juifs et autres prisonniers deviennent ainsi pure main-d'œuvre, avantageuse pour les industriels extérieurs à la hiérarchie nazie en raison de son coût dérisoirement peu élevé. Et Schindler serait resté dans cette logique de profit industriel s'il n'avait pas vu cette petite fille au manteau rouge, seul élément de couleur de tout le film. Cette tache de couleur, c'est l'individualisation, c'est la prise de conscience par Schindler que les Juifs persécutés ne sont pas une masse d'humains mais des individus uniques.

Deux autres caractéristiques de l'industrie se retrouvent poussées à l'extrême dans le système nazi : l'unité de la tâche demandée et l'ordre. Ici le Taylorisme est roi. Chaque prisonnier a une tâche à accomplir et une seule. Et cette tâche, il l'accomplit dans un système à la froide rigueur, où l'imprévu n'a sa place que pour renforcer le sentiment d'injustice et d'insécurité. Le hasard n'existe que pour l'horreur des camps, mais il n'existe pas pour l'industrie des camps. Les nazis ne supportent pas les événements qui viennent troubler leurs plans. Tout doit se dérouler comme prévu.

Ainsi le système nazi de la solution finale tout entier repose sur l'industrie. C'est l'industrie dans son aspect le moins humain, dans ses extrêmes les plus cruels, mais l'industrie quand même, avec toutes ses caractéristiques et ses conventions.

L'industrie est tellement liée à l'atrocité nazie que c'est lorsqu'elle perd sa définition qu'elle redevient bénéfique. Ce n'est que lorsque les ouvriers sont des personnes non qualifiées et que la production doit être inefficiente. Alors l'industrie redevient humaine. Cette industrie qui sauve des vies sauve l'honneur de l'industrie, à l'image des résistants en minorité qui ont sauvé l'honneur de la France.

Un film à voir, même pour ceux qui pensaient qu'il ne renfermait que scènes de torture et abomination nazie.
Coty
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le 30 oct. 2011

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