
Comment critiquer, juger, estimer un film qui dépeint un épisode tellement inhumain de l'histoire de l'humanité : la Shoah? Mal noter, serait-ce atténuer sa gravité? J'essaie donc de me défaire autant que possible du poids de l'histoire pour m'attacher à l'analyse des outils cinématographiques déployés dans le film.
La Liste de Schindler revient sur l'action d'Oskar Schinder, homme d'affaires qui va monter une entreprise d'émail à Cracovie pendant la Seconde guerre mondiale. Tout d'abord opportuniste et profiteur des conditions de travail des Juifs, il utilisera ensuite sa position afin de sauver plus d'un millier de Juifs employés dans son entreprise.
Le choix du noir et blanc est une réussite : il retranscrit la perte de couleur et de la vie morale du monde ; il entretient aussi un flou sur les images, qui pourraient se confondre avec des images d'archives. Une touche de couleur, le manteau d'une petite fille trottant au milieu du carnage de la liquidation du ghetto, fait exception : signe d'espoir dans la figure de l'enfant ou sceau rouge de la mort implacable?
Le choix des acteurs, Liam Neeson et Ralph Fiennes, en Oskar Schindler et Amon le commandant nazi, est audacieux : il y a une similarité dans les visages de ces deux acteurs, mise en valeur par la scène du rasage, en miroir. Cette similarité est affolante entre les deux hommes, le "Juste" et le monstre nazi. Elle révèle que les êtres humains ne sont qu'un "fragile vernis d'humanité", pour reprendre l'expression du philosophe Michel Teretschenko, vulnérables et si facilement happés par le mal.
Mais Oskar et Amon agiront de manière diamétralement opposée. L'opportuniste Oskar, qui décrétait que c'est la guerre qui lui avait manqué en affaires, la célébrant comme un facteur de sa réussite, va se transformer au fil des contacts humaines, notamment avec son comptable Stern. C'est cette même transformation qui fait se mélanger l'intérêt individuel avec l'intérêt collectif, le sens des affaires avec le sens des valeurs. Le commandant, lui, n'évoluera pas, aux prises avec un moi narcissique démesuré et une folie qu'entretient son alcoolisme.
Dans la relation complexe entre les deux hommes se joue la question du pouvoir. Tandis qu'Oskar représente le pouvoir, c'est-à-dire le contrôle (de soi), le panache, le commandant Amon est incontrôlable et donc faible.
La construction du film est également bien pensée : à la scène du début du film où les Juifs doivent s'enregistrer sur des listes qui les déshumanisent, répond la Liste de Schindler : la retranscription minutieuse, plus que des noms, mais des hommes, femmes et enfants à sauver. La liste de Schindler, parce qu'elle énumère les noms des employés Juifs dans tout ce qu'ils ont d'humain, "c'est la vie".