Ada et l’ardeur.
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La lecture de l'extraordinaire livre 'Jane Campion par Jane Campion' écrit par le critique Michel Ciment, dans lequel on trouve de passionnantes analyses et une magnifique iconographie, conjugué au visionnage de l’intéressant documentaire de Julie Bertuccelli consacré à la cinéaste néo-zélandaise m’a donné envie d’une rétrospective critique consacrée à la cinéaste. Et avant ‘Portrait de femme’, ‘Un ange à ma table’ ou ‘Bright Star’, place à son le film le plus célèbre ‘La Leçon de Piano’, Palme d’or au Festival de Cannes 1993.
Ada, mère d’une fillette de neuf ans, s’apprête à partager la vie d’un inconnu, au fin fond du bush néo-zélandais. Son nouveau mari accepte de transporter toutes ses possessions, à l’exception de la plus précieuse : un piano, qui échoue chez un voisin illettré. Ne pouvant se résigner à cette perte, Ada accepte le marché que lui propose ce dernier : regagner le piano, touche par touche en se soumettant à ses fantaisies.
Ce qui frappe au premier coup d’œil, c’est la magnificence des images. Tout est somptueux. Il est rarissime de voir autant de beauté sur un écran. Jane Campion a un véritable sens de l’image. C’est une cinéaste paysagiste dans le sens où elle filme admirablement les paysages. De la mer d’un bleu sublime, à la forêt touffue et boueuse. Il faut dire que le film doit beaucoup à la photographie de Stuart Dryburgh qui filme et cadre les scène comme si c’étaient des toiles.
‘La leçon de Piano’ a pour sujet central le désir. Campion le décline sous plusieurs angles. Il y a le désir qu’on commence à ressentir pour la première fois. C’est le cas d’Ada dont le désir (sexuel) pour son voisin George naît et l’effraie. Il y a le désir bestial et cru de George pour Ada. Et puis, il y a le personnage très intéressant du mari qui lui n’arrive pas à avoir de désir pour sa femme. Dans une scène étonnante où Ada caresse avec douceur les fesses de son mari, celui-ci lui demande d’arrêter comme par impuissance.
‘La leçon de Piano’ est évidemment un film sur le féminin, Campion se focalisant sur les sentiments, les émotions d’Ada. L’histoire est prétexte à évoquer tant le désir que la condition de la femme à cette époque. Des couches de vêtements qu’elle doit porter, au mariage auquel il faut se résoudre en passant par le corps, à la fille qu’elle doit élever seule. ‘La leçon de Piano’ est l’histoire de l’émancipation progressive d’Ada qui passe symboliquement par le déshabillement. Elle enlève son corsage, sa crinoline, se libère de ce mariage en entamant une liaison. Cette libération lui sera bénéfique puisqu’à la fin, sans rien révéler, elle choisit la vie.
Bien que la femme soit au centre du film
, la réalisatrice néo-zélandaise n’en escamote pas pour autant la gente masculine. Les hommes, bien qu’au second plan, sont très bien dessinés. Il y a Georges l’homme rustre mais plus sensible qu’il n’en a l’air. Et puis, il y a surtout le personnage du mari que j’ai beaucoup aimé. Il incarne en apparence l’archétype de l’homme. Celui qui prend la place de chef de famille, qui est entrepreneur, celui qui est une sorte de patriarche, le possesseur. Et pourtant, Campion lui laisse avoir sa complexité, ses faiblesses entre mari désespéré et autoritaire.
Une autre thématique du film de Campion est bien sûr la communication. Ce qui est assez paradoxal pour une muette. La communication ne passe pas par les mots mais par l’expressivité. Celle du visage, celle des corps qui font l’amour et surtout celle d’Ada qui joue au piano des pièces que Michael Nyman a composé spécialement pour le film.
Holly Hunter, dans le rôle d’Ada, est tout simplement fabuleuse, d’une expressivité folle et belle. Elle se donne corps et âme dans son interprétation. Harvey Keitel est absolument parfait comme souvent dans ces rôles de bourru. Et puis, il y a Sam Neil, étonnant et lui aussi très expressif qui joue parfaitement l’ambivalence de son personnage.
Pour certains spectateurs et amis, le film fut un choc. Ce ne fût pas tout à fait le cas pour moi mais j’ai été époustouflé par la maîtrise de l’ensemble. Tout est réussi. Rien n’est en trop, rien ne manque. C’est un film dont les scènes vous restent en tête. Comme l’inoubliable séquence dans laquelle Ada joue au piano sur la plage, celle de la noyade ou quand Ada se fait traîner au sol par son mari dans la forêt.
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Créée
le 9 mars 2023
Modifiée
le 9 mars 2023
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