Revu en 2020, La Haine frappe par l’humanité de ses personnages saisis dans leur quotidien – une journée découpée en heures – dont l’interaction avec les forces de l’ordre tend à s’envenimer à mesure que se précipitent les événements. Nous retrouvons ce crescendo tragique qui caractérisera Les Misérables (Ladj Ly, 2019), donnant l’impression que le sort des protagonistes est joué par avance, que leur destin est gravé dans le béton des immeubles, rythmé par les détonations et les alarmes de voitures volées.


L’approche adoptée par Mathieu Kassovitz réussit magnifiquement à mêler l’esthétisation du cadre à une démarche quasi documentaire, soit la volonté de suivre son trio dans la banalité d’une journée finalement pas si banale ; l’ampleur et la volatilité de ses mouvements de caméra anticipent le grand cinéma de Terrence Malick, son sens du cadre et son amour pour les acteurs et leurs verbes le grand cinéma de Xavier Dolan. Revu en 2020, La Haine frappe par la douceur de son propos qui ne tombe jamais dans la stigmatisation de la banlieue martyrisée par la police mais qui, au contraire, veille à redistribuer cartes et responsabilités jusqu’à cette clausule mémorable où la bavure de trop met le feu aux poudres.


Kassovitz s’intéresse davantage au désarroi d’une jeunesse cultivée, intelligente et talentueuse mais privée d’avenir ; le visage de Baudelaire les associe au fameux albatros dont les ailes de géant l’empêchent de marcher. Ils évoluent dans une société qui ne veut pas d’eux et qui a construit des remparts – comprenons, les banlieues – pour repousser la différence ; ils y opposent leurs corps, leur rage des mots privés de filtres, leur naturel, rectifiant le slogan « le monde est à vous » par « le monde est à nous », faisant signe vers un autre adage, « L’avenir c’est nous ».


Immense film que La Haine, à la fois hilarant et poignant, rempli d’amour et de colère, petite leçon de cinéma pour ceux qui restent convaincus qu’un film social c’est chiant à mourir.

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le 14 déc. 2020

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