William et Tovar sont deux mercenaires européens, cavalant à travers la Chine Impériale à la recherche d'une mythique poudre noire capable de changer l'air en feu, qui les rendrait riches et puissants. Alors qu'ils se reposent de nuit, une créature les attaque: ils parviennent à la repousser, après lui avoir tranché une patte. Quelques jours de cavalcade plus tard, ils font face au plus démentiel arsenal défensif de tous les temps: une gigantesque muraille de pierre, gardée par l'Ordre sans Nom, une élite militaire de millions d'hommes et de femmes. Capturés puis emprisonnés, ils vont devoir s'allier à leurs geôliers, pour repousser l'assaut d'une infinité de Tao Tei, créatures mythologiques affamées qui menacent de déferler sur la Capitale...


Dans les années 2010, la Chine est devenue un monstre de cinéma: capable d'engranger des milliards de dollars de bénéfices, de rivaliser avec les production américaines, elle possède également un vivier de spectateurs si important qu'elle pèse sur le marché mondial, au point de s'octroyer le droit de vie ou de mort d'un film US [c'est par exemple l'interdiction moins de 17 ans, et donc la non-diffusion dans les salles chinoises, de Suicide Squad qui l'empêchera de passer le cap symbolique du milliard de dollars de recettes]. La Chine jouit également d'une histoire du Septième Art à faire pâlir les ricians: du wu xia pian aux blockbusters de Stephen Chow en passant par des polars si énervés qu'ils font passer Taken pour un épisode d'Inspecteur Barnaby, sans compter les cartons planétaires de Tigre & Dragon, Hero...


Il n'est pas compliqué dès lors de comprendre la démarche de cette Grande Muraille, gros actioner censé amorcer une collaboration sino-étasunienne qui ne peut fonctionner que dans l'esprit d'un producteur. À l'écran, le produit peine à séduire: que ce soit William, archer surdoué cliché du chevalier solitaire, ou le Général Lin, femme forte dans un univers d'hommes, les personnages sont des archétypes coincés dans le carcan du blockbuster; les scènes d'action font le job, mais ne parviennent jamais à exciter au-delà du déjà-vu, malgré quelques tentatives de mise en scène qui prouvent, au mieux, que le film chinois à l'américaine, c'est quand même une très mauvaise idée.


Et que dire de l'imagerie, empruntée à la mythologie populaire chinoise, gaspillée ici pour un produit qui ne maîtrise ni ne respecte ses influences? Réduire le cinéma épique asiatique à des câbles et de la colorimétrie, c'est un peu léger. Et la présence de Zhang Yimou, pape du wu xia pian, n'y change rien- on est pas sur du Hero où, ultra-attentif aux variations de couleurs de ses décors, le réal avait poussé très loin le souci du détail, jusqu'à envoyer un membre de son staff dans une forêt de vieux chênes en Mongolie intérieure pour surveiller et filmer la couleur des feuilles, et même faire parcourir des centaines de kilomètres à toute l'équipe pour tourner sur place, une fois les arbres à la teinte désirée. Dans le même ordre d'idée, les couleurs de certains costumes avaient nécessité l'import de teintures venues d'Angleterre ou du Japon, et l'utilisation d'eau minérale pour colorer certains tissus. Ici, on a des milliers de figurants bariolés, rangés par couleur pour un résultat qui fleure moins le cinoche HK qu'un RPG bourré de palette swaps développé par un autiste. Après je suis peut-être un peu mauvaise langue, le vert des green screens crève l'écran.


Grosse erreur de casting également, que de mettre Matt Damon à la tête de ce gloubi-boulga. Cet acteur exceptionnel convainquait certes en agent secret méthodique, mais Jason Bourne n'est pas du wu xia pian. Il est ici inexpressif au possible, réduisant la figure du chevalier errant à un visage vide, creux jusque dans ses interactions avec ses acolytes Pedro Pascal et Jing Tian, les autres dommages collatéraux de ce buddy movie bancal. Un cast un peu relevé par Willem Dafoe et Andy Lau, classieux comme toujours dans leurs caricatures respectives.


Je ne vais pas m'attarder sur le scénario, au risque de paraître tout aussi prévisible- même si je dois souligner l'audace de Max Brooks et de ses compères, de tenter d'imposer le personnage de Damon comme le sauveur de l'histoire, via des scènes d'applaudissements et des lignes de dialogues à la limite du ridicule. Difficile de ne pas voir l'acteur en véhicule promotionnel d'un système qui mourra dans l'œuf, puisque le bide abyssal du film en Chine enterrera le partenariat avant même qu'il ait lieu. N'est pas épique qui veut.


Regarder La Grande Muraille, c'est comme recevoir des correspondants chinois, et leur servir des nems au ketchup en leur disant "Je vous ai compris".

Henn_Raph
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le 12 janv. 2021

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