On peut facilement s’imaginer le désarroi de Guillermo lorsqu’Alfonso en 2014, et Alejandro en 2015 et 2016, glanèrent leur petite idole dorée : pourquoi eux et pas lui ? N’appartient-il pourtant pas à la même génération, à la même veine ? N’a-t-il pas été nourri au même sein ? Alors quoi ?
Le premier obtint son Oscar en démontrant qu’il appartenait à la race des visionnaires, quelque peu visionnaire fut son film par ailleurs. Le second, les siens, en faisant chaque fois l’étalage de sa virtuosité derrière une caméra, au mépris, le plus souvent, de toute cohérence artistique/scénographique. Guillermo possédant à la fois la carrure du premier et la maestria du second, lui restait-il néanmoins à se démarquer de ses confrères pour être récompensé à son tour (pour ceux à qui cela aurait échappé, il vient de l’être). Mais comment procéder ?
Aux grands maux, les grands remèdes, dit-on. Aussi n’est-on jamais plus sûr de réussir son plat qu’en suivant scrupuleusement la recette. La méthode donc ? Celle du parfait petit fayot qui cherche à se faire mousser : restitution zélée des connaissances, surlignage des bonnes réponses et basse flatterie de l’examinateur. Tout ce que l’académie a pu juger bon ces vingt dernières années imprime ainsi la pellicule : récit initiatico-métaphysico-métaphorique à la mords-moi-le-nœud, surcharge de l’image, photographie cafardeuse, misérabilisme mondain, lyrisme gotique, poésie de pacotille, hommage appuyé à l’Âge d’Or... Bref, tout ce qu’un gentilhomme condamnerait fermement.
Naturellement, telle la copie d’un fayot se lit comme un catalogue sans âme de bonnes réponses, tel se voit The Shape of Water comme l’exécution d’un cahier des charges dûment respecté mais sans saveur. Pour filer la métaphore et m’abaisser à la démagogie artistique du film, je dirais qu’il vous suffit simplement, pour vous figurer le film, d’imaginer le rejeton qu’aurait chier (Word me suggère de « remplacer ce mot grossier ou vulgaire ») Amélie Poulain après s’être fait troncher (Word me suggère, encore, de « remplacer ce mot grossier ou vulgaire ») par Benjamin Button, la créature du lac noir et Forrest Gump : un gros bâtard de fin de race amorphe et stupide contredisant la science (en l’occurrence, celle du cinéma).
En d’autres termes, The Shape of Water se révèle un gloubiboulga indigeste, paresseux, prévisible, ringard et boursouflé, faisant fi des convenances les plus élémentaires, à commencer par l’écriture de ses personnages. Le film ne reposant que sur les amours naissants d’une attardé et d’un têtard, pourquoi s’embarrasser, en effet, d’une quelconque ligne de caractérisation ? Le seul pitch se suffisant à lui-même, elle sera donc la sourde masturbatrice (Word, qui commence à me gonfler, me suggère « la personne sourde », à croire que tous les humoristes actuels écrivent leur sketch sur Word...), sa copine, la blagueuse fidèle, son voisin, le brave artiste, le ruskof, l’humaniste trahissant la cause pour la science, et le méchant, un pervers peu affable bien décidé à farcir ladite sourde (« personne sourde », tais-toi) masturbatrice avec sa viande (faisandée). Même les interprètes, pourtant tous talentueux, quoiqu’un peu cabotins sur les bords, ne parviennent à rendre leur personnage plus intéressant que les statues de cire du musée Grévin ou plus signifiant que les automates de Hanson Robotics.
Ce qui vaut pour les protagonistes, vaut également pour l’ensemble du film ; tout est question de posture, tout se veut « oscarisable » : chef opérateur, scénaristes, costumiers, décorateurs, compositeur, monteurs, mixeurs… tous lorgnent sur le précieux sésame d’un même œil. Et c’est à la lumière de cette évidence que l’on doit juger le film ; et il devient alors aisé de comprendre qu’à moins de souffrir d’un fort strabisme, il n’est qu’une monstruosité aberrante de plus dans l’Histoire du cinéma américain. Bref, pour qu’un film résonne tant aujourd’hui, il faut, ou qu’il soit creux, ou que l’époque le soit.