Cochise la brise, Geronimo nous les brise

Le début est le vrai point faible du film. Tom Jeffords chevauche au pas dans le désert d’Arizona et il présente la situation en voix off. Chercheur d’or (et ancien éclaireur pour l’armée de l’Union), il a été appelé par un colonel pour combattre les Apaches (1870). Ceux-ci sont considérés comme des serpents venimeux, dangereux, fourbes, etc. Observant des buses tournoyer dans le ciel, Tom en déduit qu’un homme ou un animal est sur le point de mourir. Il fait un détour et découvre un indien qui se traine, blessé. En contradiction totale avec tout ce qu’il vient de dire, Tom s’approche avec des intentions pacifiques. Qui d’autre que James Stewart (avec son côté d’éternel candide) pour conserver alors un minimum de crédibilité ? En effet, quand l’indien sort son couteau, Tom le désarme plutôt que de chercher à le tuer.

Désormais inoffensif, l’indien se laisse soigner. Puis, la discussion s’engage. L’indien explique qu’il a 14 ans et qu’il est parti seul pour accomplir un rite destiné à faire de lui un homme. Par la même occasion, il évoque sa mère qui doit s’inquiéter. Révélation pour Tom qui vient de se faire un ami, les indiens sont des humains qui peuvent éprouver des sentiments (amicaux et familiaux).

Sur cette base, Delmer Daves filme une intrigue très humaniste et mémorable. N’oublions pas que le film date de 1950, époque où dans les westerns, les indiens étaient traditionnellement présentés comme agressifs. Dans ce film hollywoodien, les indiens sont les habitants légitimes d’un territoire. Tout allait bien, ils pouvaient en particulier piller leurs voisins mexicains. Sauf qu’ils n’avaient absolument pas prévu l’immigration européenne, avec tous ces blancs venus s’installer sur les terres de leurs ancêtres. Les blancs ayant établi des titres de propriété, le conflit était à peu près inévitable. Il est donc logique qu’au début du film, indiens et nouveaux américains soient à couteaux tirés.

C’est bien le geste initial de Tom qui permet l’avancée des choses. Remarque, quand Tom évoque son geste en ville, on lui demande une explication qu’il ne fournira jamais. Si Tom n’a pas encore réalisé, le spectateur comprend qu’il s’agissait d’un geste d’humanité émanant d’un homme ayant eu pour réflexe de s’occuper d’un de ses semblables en difficulté.

Tom ayant eu l’occasion de se faire un ami à la peau rouge, il côtoie sa tribu. Très logiquement, il va devenir l’intermédiaire entre les deux peuples. D’abord perçu comme un traitre par les blancs, il est chargé d’établir le contact pour demander à ce que les porteurs de courrier soient épargnés par les indiens. Bien entendu, la méfiance est extrême, Cochise (Jeff Chandler) le chef Apache imaginant que les belles enveloppes blanches présentées par Tom peuvent véhiculer des informations militaires. C’est parce que Tom s’engage personnellement, lui et personne d’autre, et parce que Cochise a désormais confiance en lui, qu’un engagement sera pris (symbolisé par la flèche brisée du titre qui signifie la cessation des hostilités). Reste à savoir comment l’engagement sera perçu dans chaque camp et s’il sera respecté, de façon à étendre la confiance réciproque entre les deux hommes à leurs camps respectifs.

Par là-dessus, vient se greffer une belle histoire d’amour entre Tom et une jeune indienne, la jeune Soonseeabray (adorable Debra Paget) qui ajoute beaucoup au charme du film. Le sentiment qui nait entre eux est présenté comme naturel et irrésistible. Bien entendu, cela n’est pas de nature à leur faciliter la vie. Outre la différence d’âge, Soonseeabray est déjà promise à un homme de sa tribu. Mis au courant des projets de mariage entre les deux, Cochise les met en garde. Si eux savent ce qu’ils veulent, comment leurs enfants se situeront-ils ? Les difficultés de communication ayant été balayées (Jeff apprend le langage Apache, mais finalement, tout le monde parle anglais), on en viendrait presque à se réjouir que le scénario ne se contente pas d’un happy end conventionnel. C’est fort et émouvant. Morale de l’histoire, la pacification a un prix.

Le film est au format 4/3 dans un beau technicolor qui présente en particulier tous les paysages dans des couleurs très naturelles. Malgré un minutage resserré de 89 minutes, le film prend le temps de présenter les indiens dans leurs us et coutumes, dont les négociations internes : discussion entre chefs de tribus (scission entre Cochise et Geronimo), la méfiance vis-à-vis des blancs, lutte d’influence entre pacifistes et bellicistes, confiance et traitrise. Même chose du côté des blancs, puisque Tom est considéré comme un traitre à pendre sans autre forme de procès, du moment qu’il pactise avec les Apaches.
Electron
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le 19 janv. 2014

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